L’histoire se répète, avec les mêmes erreurs que celles commises en Irak

vendredi 26 août 2011, par Robert FISK

Avec Kadhafi parti, une guerre de guérilla érodera inévitablement les nouveaux pouvoirs en place.

A chaque fois condamné à mener la dernière guerre, nous répétons la même vieille erreur en Libye.

Mouammar Kadhafi disparaît après avoir promis de se battre jusqu’à la mort. N’est-ce pas ce que Saddam Hussein a fait ? Et bien sûr, quand Saddam a disparu et que les troupes américaines ont subi leurs premières pertes face à l’insurrection irakienne en 2003, on nous a dit - par l’intermédiaire du proconsul américain Paul Bremer, des généraux, des diplomates et des « experts » en voie de délabrement des plateaux de télévision - que les hommes armés de la résistance étaient des « jusqu’au-boutistes », « jusqu’au-boutistes » qui ne se rendaient pas compte que la guerre était terminée.

Et si Kadhafi et son fils à tête d’œuf sont toujours en liberté - et si la violence ne s’arrête pas - d’ici combien de temps allons-nous être confrontés une fois de plus aux « jusqu’au-boutistes » qui n’auront tout simplement pas compris que les types de Benghazi sont au pouvoir et que la guerre est finie ? En effet, à peine 15 minutes - littéralement - après que j’ai écrit les mots ci-dessus (14 heures hier), un journaliste de Sky News avait ré-inventé « jusqu’au-boutistes » pour qualifier les hommes de Kadhafi. Vous voyez ce que je veux dire ?

Inutile de dire que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possible pour autant que l’Occident est concerné. Personne ne va dissoudre l’armée libyenne et personne n’a officiellement interdit aux Kadhafi-istes de jouer un futur rôle dans leur pays. Personne ne va faire les mêmes erreurs que celles que nous avons faites en Irak. Et pas de bottes sur ​​le terrain... Pas de zombis occidentaux murés dans une Zone Verte et essayant de déterminer l’avenir de la Libye. « C’est la responsabilité des Libyens », est devenu le refrain joyeux de tous hommes à tout faire des département d’Etat / Bureau des Affaires étrangères / Quai d’Orsay. Rien à voir avec nous !

Mais, bien sûr, la présence massive de diplomates occidentaux, de représentants de compagnies pétrolières, de mercenaires occidentaux très bien payés et de discrets militaires britanniques et français - tous prétendant être des « conseillers » plutôt que des participants - constitue la Green Zone de Benghazi. Il n’y a pas (encore) de murs autour d’eux mais ce sont eux, en effet, qui régissent la Libye par le biais des différents héros et voyous libyens qui se sont installés comme maîtres politiques locaux. Nous ne pouvons ignorer l’assassinat par ces derniers de leur propre commandant - pour une curieuse raison, personne ne mentionne plus le nom d’Abdul Fatah Younes, bien qu’il a été liquidé à Benghazi il y a à peine un mois - mais ceux-ci ne peuvent survivre qu’en s’accrochant à nos cordons ombilicaux d’occidentaux.

Bien sûr, cette guerre n’est pas la même chose que notre exécrable invasion de l’Irak. La capture de Saddam n’a eu que pour effet de renforcer la résistance et les attaques contre les troupes occidentales - parce que ceux qui avaient refusé de prendre part à l’insurrection, de peur que les Américains ne remettent Saddam à la tête de l’Irak, n’avaient plus de telles craintes.

Mais l’arrestation de Kadhafi avec son fils Saif auraient sans doute pour effet de précipiter la fin de la résistance pro-Kadhafi face aux rebelles. La crainte réelle de l’Occident - en ce moment, et cela pourrait changer du jour au lendemain - devrait être la possibilité que l’auteur du Livre Vert ait trouvé la sécurité sur son ancien terrain de prédilection, la ville de Syrte, où la loyauté tribale pourrait se révéler plus forte que la crainte d’une force libyenne soutenue par l’Otan.

Syrte - où Kadhafi, au tout début de sa dictature, a transformé les champs de pétrole de la région en une place où attirer les énormes dividendes des investisseurs étrangers après sa révolution de 1969 - n’est pas Tikrit. C’est le site de sa première grande conférence de l’Union africaine, à peine à 16 miles du lieu de sa naissance, une ville et sa région qui ont bénéficié grandement de ses 41 ans de règne. Strabon, le géographe grec, a décrit comment les colonies dans le désert au sud de Syrte ont donné à la Libye l’allure d’une peau de léopard. Kadhafi doit avoir aimé la métaphore. Près de 2000 ans plus tard, Syrte était à peu près la charnière entre les deux colonies italiennes de la Tripolitaine et la Cyrénaïque.

Et à Syrte les « rebelles » ont été défaits par les « loyalistes » dans cette guerre de 6 mois. Nous devrons bientôt, sans aucun doute, échanger ces étiquettes absurdes - quand ceux qui soutiennent le Conseil National de Transition devront être appelés loyalistes et que les rebelles pro-Kadhafi seront transformés en « terroristes » qui pourraient bien s’en prendre à notre nouvelle administration libyenne complaisante et pro-occidentale. Dans tous les cas, Syrte, dont les habitants sont désormais censés négocier avec les ennemis de Kadhafi, fera peut-être bientôt partie des villes les plus intéressantes de Libye.

Que peut bien penser Kadhafi à présent ? Nous l’imaginons désespéré. Mais l’est-il vraiment ? Nous avons usé de nombreux adjectifs à son égard dans le passé : colérique, fou, dérangé, magnétique, infatigable, obstiné, bizarre, homme d’État (description de Jack Straw), secret, exotique, bizarre, énigmatique, idiosyncrasique et - plus récemment - tyrannique, meurtrier et sauvage. Mais dans sa perception biaisée mais certainement perspicace du monde libyen, Kadhafi ferait mieux de survivre,, de poursuivre une guerre civile tribale et d’épuiser les nouveaux amis libyens de l’Occident dans le marais de la guérilla en tuant lentement la crédibilité du nouveau pouvoir « de transition ».


Voir en ligne : Original an anglais


The Independent jeudi 25 août 2011
Traduit de l’anglais par Claude Zurbach :

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