Patrick,
Si je t’écris aujourd’hui, c’est parce que je lis tes chroniques. Ça m’arrive de les trouver bonnes, mais je dois dire que plus souvent qu’autrement, ya un truc qui m’agace. Tout est tellement toujours trop simp’ comme ils disent au Lac. Comme dans un mauvais scénario de Fabienne Larouche. Moi, chuis un peu obsédée par les nuances et pis les détails, ça fait que forcément, c’te série sur "Noémie’’, ça m’a un peu énarvée.
Je m’appelle Corine Lespérance. Je suis une enragée à temps plein, et une écrivaine raté à temps partiel. Une passionnée. Une excessive. Une féministe à tendance anti-capitaliste. Un pilier de taverne et une crisse de folle pour certains. J’ai commencé comme escorte à l’époque du jugement Bedford dans une agence. Un genre de shop à sexe. Depuis une dizaine de mois, je travaille comme indépendante.
Contrairement à ce qu’en pense Forrest Gump, la vie c’est pas une boîte de chocolats. C’est une grosse chienne sale remplie de petits bonheurs et de zones grises. C’est pareil pour l’industrie du sexe. Elle est tout aussi pourrie, diversifiée et injuste que le reste de la société. C’est vrai qu’il y a des escortes heureuses et épanouies qui font leur beurre.
Mais c’est aussi vrai qu’il y a beaucoup trop de femmes brisées qui mangent des claques de leur pimp dans les ruelles d’Hochela coke, de Centre-suce et d’ailleurs. C’est aussi vrai qu’il y a tout un paquet de femmes trafiquées. Mais faut faire attention, toutes les travailleuses du sexe migrantes ne sont pas des femmes trafiquées, et les mineures et les putes d’Hoche la coke ne sont pas toutes pimpées.
Dans l’industrie, y’a des pimps et des proxénètes. Moi, avant, j’avais une proxénète. Tu me diras que pour le Larousse c’est la même affaire un pimp pis un proxénète. Moi, je te dirai que dans le grand livre noir des putes, y’a une différence entre les deux. Un pimp, c’est un gars qui se fait passer pour un prince charmant et qui te siphonne tout ton cash. Un proxénète, c’est l’équivalent d’un boss. Il te siphonne une partie de ton cash. Il y a aussi ceux qui trafiquent des filles. Ça, c’est pire que des pimps. Je me demande parfois si on peut appeler ça des êtres humains.
Le problème dans ta série de textes jusqu’à présent est le même que partout ailleurs. On donne la parole à tout un paquet de monde sur ce qu’on devrait faire pour aider les femmes pimpées, mais jamais ou alors si peu on leur demande leur avis. Le pourquoi elles en sont arrivées là. La vie rêvée, la famille modèle, ce n’est pas pareil pour tout le monde. Faut arrêter de se dire qu’on a offert un cadre parfait à notre enfant et accepter qu’elle ne voyait peut-être pas les choses de la même façon. Caisse qui se passait dans la tête de Noémie quand qu’à décidé de sacrer son camp? Caisse qu’elle veut ? À quoi elle rêve ? De quoi qu’à peur quand qu’à se couche?
Je sais ben que tu dois faire ton gros possible. Que la job de journaliste terrain, avec toutes les coupures dans le monde des médias, c’est loin d’être le Pérou. Que t’as probablement pas les moyens de faire de vraies enquêtes. Mais pareil…
Si je t’écris, c’est parce qu’au fond de moi, j’ai cette énergie du désespoir et je t’hais pas tant que ça. Mais je pense que tu pourrais faire mieux. Faire plus de recherches, faire plus de nuances, aller d’avantage à la rencontre des personnes directement concernées.
Je te laisse en post-scriptum des liens vers deux textes de mon blogue qui je pense pourraient nourrir tes réflexions. J’ai pas la prétention de détenir la vérité. Je pense que c’est quelque chose qui se construit collectivement. Que c’est en allant à la rencontre des femmes dans l’industrie du sexe dans toute la pluralité que ça peut représenter que tu vas pouvoir comprendre.
Sincèrement et sans malices,
Corine Lespérance