Théâtre

Import / Export : levée de rideau sur la délocalisation d’entreprises

jeudi 29 mai 2008, par Benoîte Labrosse

Fermeture et transfert des opérations de l’usine Crocs de Québec et de celle de Golden Brand de Montréal : la délocalisation des activités manufacturières vers les pays du Sud, particulièrement en Asie, fait fréquemment la une au Québec. Cette situation préoccupante a inspiré une pièce documentaire à la compagnie montréalaise Porte Parole, qui est présentée pour la première fois au Festival TransAmériques.

Import/Export est l’histoire d’Isolde (interprétée par Danielle Desormeaux), ouvrière dans une manufacture de vêtements mise à la porte après 27 ans. C’est aussi l’histoire d’Alfie, président d’entreprise au grand cœur qui a accepté qu’une documentariste suive pas à pas la transition de sa compagnie. Et celle des couturières et des dirigeants de l’usine chinoise qui hérite du contrat.

À travers eux, Annabel Soutar relate un exemple parmi tant d’autres des conséquences de la mondialisation économique, qui a cela de particulier d’avoir été scruté à la loupe du début à la fin et mis en scène pour un public qui ne raffole habituellement pas des nouvelles économiques.

Pour une dramaturge ayant déjà traité d’élections, de marchés boursiers et du système de santé, ce défi semble loin d’être insurmontable. « En tant qu’artiste qui fait du documentaire, je me questionne sur ce qui est au centre des préoccupations des gens et j’essaie de le transposer au théâtre, explique la directrice artistique et présidente de Porte Parole. Depuis deux ans, à chaque fois que j’ouvre les journaux, j’apprends des fermetures d’usine et des délocalisations, donc je me suis dit que ce serait un sujet nécessaire, car il va finir par avoir un impact sur nos vies. »

Une fois le thème choisi, il restait encore à trouver une entreprise qui accepterait de se prêter à l’expérience. Le hasard a alors fait son œuvre. « J’ai la chance d’avoir une amie qui travaillait au marketing d’une compagnie qui amorçait sa transition vers la délocalisation. Je suis arrivée au bon moment », raconte Annabel Soutar. La documentariste a ensuite dû convaincre le président de l’usine québécoise dont elle doit taire le nom, car elle est liée par un accord de confidentialité. « Au début, il n’était pas très convaincu et ce fut un gros travail, mais il a fini par accepter, se souvient-elle. Par contre, je n’avais pas carte blanche. Je ne pouvais parler qu’à quelques personnes, et à des moments précis. »

Mme Soutar s’est ensuite rendue en Chine où elle a visité deux usines, la seconde étant celle qui avait reçu le contrat du Québec. « Dans les deux cas, ça a été très compliqué, parce qu’ils ne sont pas très ouverts aux Occidentaux, souligne-t-elle. Heureusement, je ne filme jamais. Comme j’enregistre les sons et que je prends parfois des photos, les gens se sentent plus à l’aise pour parler et sont plus ouverts. »

Mondialisation linguistique

Une des caractéristiques du théâtre documentaire est l’appropriation par les comédiens des mots exacts des témoignages enregistrés. Dans le cas d’Import/Export, cela signifie que l’anglais, le français, le cantonais et le mandarin se côtoient sans transition durant près d’une heure trente. « Mettre du joual à côté du cantonnais, c’est un trip pour moi ! », se réjouit la metteure en scène. Ce voisinage linguistique est toutefois un défi de taille pour les six comédiens — deux Chinoises, un anglophone et trois Québécois bilingues — qui doivent se partager une trentaine de rôles.

Danielle Desormeaux, qui incarne des couturières des deux origines en plus d’Isolde, apprécie cette variété, mais elle avoue avoir un faible pour ses rôles d’ouvrières québécoises : « Je viens d’une ville minière du nord de l’Ontario, donc je joue des gens que je connais, que j’ai côtoyés. » La comédienne insiste sur la justesse d’interprétation nécessaire à cette forme particulière de dramaturgie. « Je suis très consciente du fait que c’est l’histoire de vraies personnes et non pas de la fiction, explique-t-elle. Je dois vraiment être juste dans mon texte, car ce sont leurs mots. »

Autre preuve que le théâtre documentaire est bien ancré dans la réalité, la pièce sera au centre d’une soirée-bénéfice au profit de la compagnie mystère et de ses employés le 5 juin prochain. « On invite des gens de l’industrie du vêtement pour célébrer, car ils ne l’ont pas eu facile ces dernières années », souligne Annabel Soutar. Après la représentation, tous seront d’ailleurs invités à prendre part à un débat sur la délocalisation et la mondialisation. D’ailleurs, les discussions d’après représentation sont une tradition chez Porte Parole, car dans le monde du théâtre documentaire, susciter des débats sociaux est aussi important que de raconter une bonne histoire.

Import/Export : Texte et mise en scène d’Annabel Soutar
Avec Danielle Desormeaux, Alex Ivanovici, Danette Mackay, Bonnie Mak, David Schaap et Lu Ye. À l’Espace Go du 2 au 4 juin 2008.

Vous avez aimé cet article?

  • Le Journal des Alternatives vit grâce au soutien de ses lectrices et lecteurs.

    Je donne

Partagez cet article sur :

  •    
Articles de la même rubrique

Volume 14 - No. 09 - Juin

Vent d’optimisme au Liban

Articles du même auteur

Benoîte Labrosse

Repenser le commerce équitable

Articles sur le même sujet

Canada

La violence spectaculaire du féminicide

Je m’abonne

Recevez le bulletin mensuel gratuitement par courriel !

Je soutiens

Votre soutien permet à Alternatives de réaliser des projets en appui aux mouvements sociaux à travers le monde et à construire de véritables démocraties participatives. L’autonomie financière et politique d’Alternatives repose sur la générosité de gens comme vous.

Je contribue

Vous pouvez :

  • Soumettre des articles ;
  • Venir à nos réunions mensuelles, où nous faisons la révision de la dernière édition et planifions la prochaine édition ;
  • Travailler comme rédacteur, correcteur, traducteur, bénévole.

514 982-6606
jda@alternatives.ca