Il s’appelle Diga. Fin novembre, il a été désigné musicien autochtone canadien de l’année, et cette semaine encore il ne jouera pas à Montréal.
Sa plus grosse gig cet été, c’était le festival Folk on the Rocks, chez lui à Yellowknife, sur une scène enfumée de chasse-moustiques. « On a aussi fait deux soirs à High Level, en juin », précise le tout premier guitariste virtuose né à Fort Rae, dans les Territoires du Nord-Ouest.
Il a écoulé, surtout sous le manteau, un peu moins de 3000 copies de son deuxième album, Earth Is Crying, qui lui a pourtant valu le prix de l’artiste masculin de l’année lors du dernier gala Canadian Aboriginal Music Awards. « Ma musique ne passe pas à la radio », constate celui dont le nom de scène signifie « loup » dans la langue Tlicho. « La promo est plus dure quand tu habites dans la dernière ville au bout du chemin de gravelle. »
Un peu malgré lui, sa carrière se trouve aujourd’hui coincée dans le créneau folklorisé de la musique « autochtone », où seuls quelque deejay téméraires de Radio-Canada et CBC osent s’aventurer. Ses vidéoclips passent à la télé, mais seulement à APTN, la chaîne culturelle autochtone. Ironiquement, la station de radio communautaire dénée pour laquelle il a travaillé pendant quelques années ne jouera pas non plus sa musique. « C’est trop moderne pour eux, rigole-t-il. C’est une station indienne. »
Moderne oui, car Diga ne fait pas dans la musique de pow-wow. S’il n’avait pas sa carte du Traité 11 dans les poches, il pourrait faire son entrée sur n’importe quelle scène rock sans craindre la ségrégation. Sa guitare plaintive et distordue rappelle parfois les riffs méticuleux d’un Santana (Nature) où d’un Steevie Ray Vaughn (Wolves).
« Aujourd’hui, Diga, c’est le meilleur guitariste au nord du soixantième parallèle. C’est clair », estime l’ex-bassiste de Diga, Pat Braden, qui persiste à vivre de son art dans le Nord depuis plus de 15 ans. « Je pense qu’il est trop bon. Il va partir dans le Sud bientôt. Regarde-le bien aller. »
Ses textes, que Diga rage d’une voix étouffée mais résolue, restent au second plan. La moitié des pièces de Earth is Crying sont instrumentales. Mais, quand on s’y attarde, sa poésie farouche secoue. Il écrit la chronique souvent désolante mais jamais désolée des siens, les Tlichos (ou Dogribs), un peuple déraciné par les politiques coloniales d’assimilation.
Trop jeune pour avoir connu le pensionnat indien, Diga a quand même dû quitter sa communauté en bas âge pour aller vivre en Saskatchewan, chez sa sœur, afin de recevoir une éducation occidentale et d’apprendre l’anglais. Après se l’être fait imposer de force, la culture des Blancs est désormais imposée aux Tlichos par dépit. Elle s’impose à l’école, à la télé, à la mine de diamants, partout. C’est l’acculturation ordinaire que chante Diga.
Sur la pièce Trap il raconte le sort des aînés sans-abris qui errent dans les rues de Yellowknife, par moins quarante degrés celcius, et emportent dans leurs cercueil leur savoir traditionnel loin de la ligne de trappe où ils sont nés. Sur Nomad, il exalte le piégeur qui refuse de se conformer à la religion des curés. Sur la piste titre, il évoque la peine d’une terre remuée par la cupidité des chercheurs d’or. « The first white man set foot on this land / searching for gold, searching for diamonds / and the first tree cut down for money / has begun the burning of their beliefs. »
Il refuse pourtant d’être étiqueté comme porte-parole de son peuple ou chanteur engagé. « Je suis guitariste avant d’être Dogrib », dit-il. Il ne veut pas non plus être pris en exemple par les jeunes de son village qui grandissent dans un milieu souvent violent. « Je ne me considère pas comme un modèle à suivre. Si les jeunes recherchent tellement de modèles c’est parce que leurs parents n’en sont pas », lance sans détour celui qui a dédié son premier album à son père, « le seul aîné que j’ai connu ».
Alors que sur le premier disque, sorti sous le nom Jesse James and the Wolves, il chantait beaucoup dans sa langue maternelle, les textes de Earth Is Crying sont tous en anglais. Colonisé ? « Non, répond-t-il, c’est arrivé comme ça. J’écris encore des chansons dans ma langue, mais quand j’ai démarré ce projet je voulais exprimer certaines choses que je ne serais pas capable de dire en dogrib. » Il n’y a pas de mot pour « diamants » ni pour « Armée du Salut » dans sa langue.
Comme le prédisait son bassiste, Diga jongle aujourd’hui avec la tentation de prendre la route vers le sud, la seule direction possible quand on habite à Yellowknife. « J’ai envie d’aller voir en bas. C’est sûr que ça me trotte dans la tête. » Il a pourtant tenté sa chance à Toronto, il y a un an et demi, mais l’aventure l’a vite désenchanté. « Les gens, là-bas, ne comprennent pas ce que je dis quand je leur parle du territoire. Mais je ne pense pas pouvoir me payer le luxe de vivre dans le Nord encore longtemps. »