Gouvernement conservateur majoritaire et environnement : à quoi peut-on s’attendre ?

mercredi 1er juin 2011, par Gabriel Légaré

La réputation environnementale du parti conservateur a été particulièrement malmenée au Québec, malgré le fait que l’environnement ait été à peu près absent des enjeux de la dernière campagne électorale. Au cours des dernières années, les quatre principaux partis fédéraux ont durement critiqué leur adversaire au pouvoir sur un enjeu en particulier : les changements climatiques. Le rejet du protocole de Kyoto et des engagements canadiens en matière de diminution des émissions de gaz à effet de serre, est devenu le symbole et la preuve de l’absence de tout souci environnemental chez les conservateurs.
L’élection d’un gouvernement majoritaire, dans ces circonstances, peut inspirer les plus grandes craintes quant à la protection de l’environnement au pays. Les orientations que le gouvernement conservateur risque de prendre ne peuvent cependant être réduites à un déni pur et simple des enjeux environnementaux.

Du « complot socialiste » au modèle américain
Stephen Harper, alors qu’il était chef de l’Alliance canadienne, avait dénoncé le protocole de Kyoto comme un « complot socialiste qui vise à soutirer des fonds aux pays les plus riches ». Son opposition à ce traité international, comme celle de son parti, ne s’est jamais démentie, à un point tel que la délégation canadienne à la conférence de Copenhague de 2009 a été accusée de saboter les efforts de lutte contre le réchauffement climatique. Depuis ce temps, le premier ministre Harper ne cesse de répéter qu’il est important d’aligner les efforts canadiens de réduction des gaz à effet de serre (GES) sur ceux des États-Unis, et que tout accord international de lutte au réchauffement de la planète se doit d’inclure les principaux émetteurs, comme la Chine.
Du côté de la recherche scientifique, la Fondation canadienne pour les sciences du climat et de l’atmosphère, qui finance plusieurs projets de recherche touchant aux changements climatiques partout au pays, a vu son financement fédéral considérablement réduit. Olivier Collin, candidat au doctorat en sciences de l’environnement à l’UQAM et participant à un projet de recherche sur les impacts des changements climatiques sur la forêt boréale, affirme s’inquiéter, tout comme ses collègues, du financement futur de ce projet. L’hostilité du gouvernement envers la lutte aux changements climatiques, alliée à des coupures antérieures dans le financement de la recherche, donne l’impression que ce dernier veut étouffer le problème.
Pourtant, même si à la veille des dernières élections, c’est le parti conservateur qui promettait le moins en dépenses et investissements environnementaux, son budget 2011 n’est pas muet à ce chapitre. Des investissements sont prévus dans la recherche sur les incidences des changements climatiques, dans l’amélioration et l’application de la réglementation sur la qualité de l’air et dans la promotion des énergies propres et de l’efficacité énergétique. Au total, c’est un peu plus d’un milliard sur deux ans qui est dépensé dans des initiatives liées à l’environnement.
Cependant, malgré que le gouvernement conservateur ait aligné ses objectifs de réduction de GES sur ceux des États-Unis d’Obama (diminution de 17% d’ici 2020 par rapport à 2005), il n’y a aucun plan d’action bien défini permettant d’atteindre cet objectif. La stratégie gouvernementale repose sur trois grands principes : la collaboration avec les États-Unis, la diminution des émissions de GES par unité de production (automobile, usine, etc.) et le développement d’énergies propres. Sa grande faiblesse est de ne prévoir aucune mesure qui limite dans l’absolu les émissions, que ce soit par secteur d’activité ou par territoire. L’atteinte de l’objectif de -17% est alors pure conjecture.

Les valeurs conservatrices et l’environnement
La préservation de l’environnement n’est pas au centre des préoccupations conservatrices ; elle tend plutôt à être subordonnée, la plupart du temps, à des considérations économiques. À preuve, dans leur dernière plateforme électorale, les mesures environnementales sont présentées dans la section « Défendre le Canada », entre les thèmes de la liberté de religion et du soutien à la culture et aux arts. La « qualité de l’environnement », qui constitue pourtant un de leurs 19 principes fondateurs, est souvent abordée de façon secondaire, y compris dans les propositions spécifiquement environnementales. Par exemple, l’exploitation des ressources extra-côtières (comme les hydrocarbures dans le golfe du Saint-Laurent) est encouragée en vue de bénéfices économiques, sociaux et environnementaux [sic], et l’énoncé de politique précise que « le gouvernement devrait tenir compte du potentiel des ressources naturelles avant de désigner de nouvelles aires marines protégées ». Le parti conservateur prévoit en outre une réduction de la réglementation environnementale sur les mines, vraisemblablement au profit des entreprises exploitantes.
D’un autre côté, un certain attachement aux responsabilités individuelles et à l’ordre public semble pousser les conservateurs à être plus sévères envers certains types de comportement. Des peines plus dures et des règlements plus stricts sont prévus dans le programme du parti. Le gouvernement projette de les appliquer à l’encontre des déversements illégaux d’hydrocarbures [en mer principalement], du braconnage ou de certaines pratiques nuisibles telles que le rejet d’eaux contaminées que des navires étrangers déversent dans les Grands Lacs. Certains dossiers reçoivent par ailleurs une attention particulière des conservateurs : ceux-ci prévoient élaborer un Plan de conservation national, qui viserait à préserver de nombreux écosystèmes, des espèces en danger, ainsi qu’à lutter contre les espèces envahissantes.

« L’équilibre » conservateur
Le rapport entre le parti conservateur et l’environnement ne peut pas se résumer à une simple opposition, ou à l’ignorance du deuxième par le premier ; il s’agit plutôt d’une relation ambivalente, fortement teintée de considérations économiques. L’énoncé de politique aborde la question de l’environnement par ces mots : « le gouvernement a la responsabilité d’assurer l’équilibre entre les valeurs parfois concurrentes que sont la protection de l’environnement et la création d’emplois ». Pour un gouvernement ayant fait de la croissance économique et de la création d’emplois sa priorité absolue, « l’équilibre » est inévitablement déplacé d’un pôle vers l’autre.
Les considérations environnementales ne sont pas évacuées pour autant, même dans le cas de projets industriels ou d’exploitation de ressources naturelles de grande ampleur. Par ailleurs, certains dossiers, comme la création de parcs nationaux, de réserves naturelles, la lutte aux infractions environnementales ou aux espèces envahissantes, pourraient recevoir une attention surprenante de la part d’un gouvernement qu’on a dépeint comme très peu « vert ».

Cependant, la protection de l’environnement est faite « en marge », en compromettant le moins possible la productivité de telles activités. Il est donc clair qu’en général, le développement économique passera avant le respect des contraintes écologiques.

Le réchauffement de la planète ne sera pas un problème urgent, sous les conservateurs, tant qu’il n’affectera pas négativement la croissance économique du pays. Malheureusement, comme nous préviennent les rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), si nous poursuivons notre mode de vie actuel, il sera trop tard pour régler le problème. Selon les plus récentes estimations du GIEC, il existe un « seuil » de 2°C au-delà duquel le réchauffement risque de s’emballer et de s’accélérer hors de notre contrôle. Au moment où les effets du réchauffement se feront gravement sentir sur la société et l’économie, ce seuil sera déjà dépassé, et les seules mesures que les gouvernements pourront prendre viseront à adapter la société à une planète en surchauffe.
L’énergie que le gouvernement conservateur continuera sans doute à mettre dans le sabotage des initiatives internationales de lutte aux changements climatiques obéit à une vision à court terme, celle des prochaines élections et des prochains trimestres de rendement à la Bourse. Ce gouvernement risque fort de ne pas tenir la promesse contenue dans son quinzième principe fondateur, celle de protéger la qualité de l’environnement pour les générations futures.

* L’auteur fait une Maîtrise en sciences de l’environnement à l’Université du Québec à Montréal

À propos de Gabriel Légaré

L’auteur fait une Maîtrise en Environnement à l’UQAM

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