Pour les Canadiens moyens que nous sommes, un homme qui croit que Sadam est l’incarnation de Satan, qui est férocement favorable à la peine de mort et à la liberté de s’armer individuellement, un homme opposé à l’avortement dans toute circonstance, opposé aux droits de la femme dans les pays pauvres et au contrôle des naissances est certainement un crétin. En tout cas chez nous, ces gens ne courent pas les rues et dans mon livre à moi, comme disent les sportifs, ce genre de personne ressemble fort à un crétin.
Mais ce serait une erreur de fonder notre rejet de Bush sur ce jugement et de ne pas tenir compte de sa géniale habileté politique. Bush a parfaitement compris un des traits fondamentaux de la culture américaine, de l’inconscient collectif de nos voisins : l’ignorance active et le rejet de tout ce qui n’est pas américain de même que la conviction profonde que le pays est une sorte de construction divine, dépositaire du Bien. C’est sur ces deux piliers simplistes mais efficaces qu’il a réussi depuis le 11 septembre à transformer une présidence louche et usurpée en suprématie quasi monarchique. C’est en utilisant ces deux cordes sensibles et parfaitement démagogiques qu’il a remporté le 5 novembre dernier une victoire électorale qui lui confère des pouvoirs quasi dictatoriaux. C’est en martelant le même discours inlassablement, celui de la menace antiaméricaine qui embrase la planète, qu’il est parvenu à occuper tout le terrain médiatique. Jamais dans l’histoire contemporaine un gouvernement n’a réussi sans la menace et l’intimidation à créer une aussi formidable machine de propagande qui soutient sans nuance aucune la politique gouvernementale.
Cela prend une intelligence diabolique, une habileté politique hors du commun. Les résultats de cette opération intoxication font frémir.Des grands pans de liberté civile se sont envolés en fumée en même temps que les deux tours, la télévision et la radio distillent une propagande permanente et insidieuse comme un interminable mantra. Les Américains sont ensorcelés, envoûtés. Ils n’ont pas le choix de ne pas croire à la nécessité de cette guerre, puis de plusieurs autres, parce que l’ennemi de l’Amérique et du seul véritable Dieu est partout. Les Américains seront déçus si la guerre contre l’Irak ne survient pas. Voilà l’incroyable réussite du crétin le plus puissant du monde. Tant mieux s’il est crétin car je n’ose pas imaginer ce que l’avenir nous réserverait si en plus d’être fondamentaliste religieux il était aussi, intelligent.
Gil Courtemanche, billetiste, journal Alternatives.
L’auteur est également écrivain et chroniqueur pour le journal Le Devoir.