Forêt boréale en danger

Richard Desjardins toujours en colère

dimanche 25 juillet 2004, par Batiste W. FOISY

Bon an mal an au Québec, on coupe 40 millions de mètres cubes de bois. Quatre « dix-roues » toutes les cinq minutes. À l’heure où la Commission Coulombe d’étude sur la gestion de la forêt publique québécoise sillonne la province pour « rassurer la population », Alternatives a rencontré le vice-président et membre fondateur de l’Action boréale de l’Abitibi-Témiscamingue (ABAT), le chanteur bien connu, Richard Desjardins.

« À l’Action boréale, prévient Richard Desjardins, on ne cherche pas à avoir raison ; on cherche à voir clair. » Pour l’organisme basé à Rouyn-Noranda, avant de décider comment la forêt doit être gérée, il faut savoir comment elle fonctionne et mettre en lumière ce qui ne marche pas dans le régime actuel. Deux impératifs, affirme le coréalisateur de L’Erreur boréale, auxquels le mandat de la Commission Coulombe ne permet pas de répondre.

« Ce que le gouvernement avait promis quatre jours avant les élections, se souvient Richard Desjardins, c’est une enquête publique indépendante. Ça, ça veut dire que l’enquêteur a des pouvoirs sérieux. Il peut citer des témoins à comparaître et surtout les protéger. [...] Mais là, ils ont viré ça en commission d’étude, une création du ministère des Forêts. Ils n’ont pas de pouvoir judiciaire. Les témoignages ne sont pas sous serment. Alors ils [le ministère] vont continuer à nous servir les mêmes balivernes que depuis dix ans. » D’autant plus que les données chiffrées sur l’état de la forêt québécoise ne seront connues que quatre mois après le dépôt du rapport de la commission. « Ils font une étude pas de chiffre », résume le chanteur.

Possibilité forestière

La plus grande controverse de la foresterie québécoise est sûrement le calcul de la possibilité forestière (CPF), censé déterminer la quantité de bois qu’on peut couper sans mettre en péril la pérennité de la ressource. Mais jusqu’à récemment une variable aussi fondamentale que le vieillissement plus lent des forêts nordiques n’était toujours pas prise en compte pour établir le CPF. « Est-ce que la possibilité forestière est établie en fonction de la capacité de la forêt ou de l’usine ? », demande Richard Desjardins. Des années d’approximation ont manifestement sapé la confiance du poète.

À ce chapitre, il évoque le fiasco des éclaircies précommerciales : « Ils prennent une forêt sauvage et enlèvent la compétition autour des essences privilégiées. Ils se sont dit : “Ça va faire des gros arbres avec beaucoup de bois. [...] De même, on peut bûcher plus vite dans la forêt naturelle.” En théorie. Mais là, ils viennent de s’apercevoir que, effectivement, les arbres vont être plus gros mais que finalement le volume de bois va rester le même. » Devant pareil constat, Richard Desjardins se demande ce qu’il faut penser d’autres types d’aménagement censés, eux aussi, augmenter le rendement de la forêt. « Ils attendent les résultats pour les arbres transgéniques. Les arbres Frankenstein. Ils essayent de faire pousser des arbres pas de branche. Ils font des plantations de mètres cubes, [...]. Je sais aussi qu’ils font pousser des peupliers hybrides, des arbres qui poussent vite. C’est supposé qu’en 20 ans, ces arbres-là donneront autant de bois qu’une épinette de 50 ou 60 ans. C’est supposé. Mais on ne le sait pas vraiment. » Précisant qu’il s’agit de son opinion personnelle, il dit souhaiter l’imposition d’« un moratoire sur les coupes forestières dans toute la forêt boréale ».

Même s’il ne peut affirmer sans l’ombre d’un doute qu’on coupe trop de bois, le chanteur est sûr d’une chose : les arbres que l’on coupe sont de plus en plus petits. « En 1940 en Abitibi, on n’avait pas le droit de couper un arbre en bas de huit pouces. Maintenant, on a de la misère à trouver un arbre de huit pouces. » En 2002, le PDG de Tembec affirmait en commission parlementaire que le diamètre moyen des arbres récoltés diminuait d’un pouce tous les dix ans.

Mais Richard Desjardins essaie de se faire rassurant : « On ne parle pas de désertification de la forêt. Il va toujours y avoir quelque chose. Mais quoi ? On ne le sait pas. »

Fermer le Québec

Richard Desjardins fustige surtout « les compagnies » qui ont la mainmise sur la forêt publique québécoise. « Ces compagnies-là, ce n’est pas des compagnies de bois et papier. C’est des compagnies d’argent. Leur stress, c’est de fournir le profit aux actionnaires dans trois mois. Ce qui se passe dans dix ans... Ils vont vendre mes albums et ça va faire pareil. C’est de l’argent », ironise-t-il.

« Abitibi Consol, c’est rendu qu’ils ont des plans pour la Sibérie. Fermer le Québec, pour eux autres, il n’y a rien là. Il y a des compagnies qui l’ont fait déjà : la CIP, ils ont crissé leur camp. L’International Paper de New York, ils ont été ici pendant trente ans ; ils sont partis maintenant. Domtar et Abitibi Consol, ils peuvent faire la même affaire. Ils sont installés sur le bord de la Sibérie. Ils attendent juste qu’il y ait un climat politique favorable. »

« Dans la foresterie, poursuit-il, il y a, à peu près, le même nombre de jobs qu’il y a 20 ans, mais la valeur de la production, elle, s’est multipliée par six. [...] Tout cet argent-là, ces profits-là, c’est allé aux actionnaires partout dans le monde »

Le pire c’est que ces compagnies ne rapportent rien au trésor public. Cette année, le gouvernement a remis 345 millions de dollars aux forestières pour défrayer les coûts d’aménagement. En retour, ces dernières ne nous ont retourné que 335 millions en droits de coupe. « Cette année, Hydro-Québec a fait deux milliards, la SAQ a fait un milliard et dans la forêt on a perdu 10 millions », constate narquois le vice-président de l’ABAT. On est loin de l’époque où la forêt était le seul revenu du gouvernement.

« Est-ce qu’il faut continuer de fonctionner avec un système de grosses compagnies comme Domtar et Abitibi Consol ?, demande finalement Richard Desjardins. Je pense que poser la question c’est y répondre. »

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