Filmer... et aimer !

samedi 1er mars 2003, par Eza PAVENTI

À 19 ans, la cinéaste Anaïs Barbeau Lavalette s’est acheté un billet d’avion en direction du Honduras. Elle a travaillé là-bas pendant un an dans un bidonville où elle a monté une version du Petit Prince avec 12 enfants. « C’est à partir de ce moment que j’ai saisi l’importance de l’engagement social pour moi. »

De retour au pays, elle a complété ses études à l’Institut national de l’image et du son (INIS) avant de reprendre la route pour sa grande « Odyssée », une aventure que les lecteurs de La Presse ont pu suivre chaque semaine à travers les textes impressionnistes de la jeune cinéaste. Dans Internet, de courts films racontant son expérience ont été diffusés sur le site Silence on court !

Au cours de son périple, ses pas l’ont menée dans différents pays où elle a vécu d’autres rencontres plus brèves, mais tout aussi marquantes. Sa caméra est devenue le témoin privilégié de scènes quotidiennes souvent intenses, des moments qu’elle a dû condenser dans des reportages de quatre minutes et dix secondes, qui ont été diffusés en Europe. « Heureusement, j’ai décidé d’entreprendre un projet de long métrage à partir des images tournées au cours de ce long voyage ; sinon, je serais restée avec la frustration de ne pas être allée assez en profondeur. » Anaïs compare cette expérience à des sauts de puces. « Au cours de la dernière année, j’ai plongé dans le monde comme jamais. J’ai fait 10 voyages dans les pays où l’on retrouve les plus gros bobos du monde. [...] Maintenant, je dois construire à partir de ce que j’ai appris. »

Du témoin au relais

Anaïs n’a pas tardé, à son retour, à trouver un moyen de s’investir plus concrètement auprès des enfants défavorisés. Avec l’aide de son ami Arnaud Bouquet, elle a élaboré le projet RELAIS, qui implique des jeunes provenant de cinq pays différents : l’Inde, le Congo, la Palestine, le Brésil et le Québec. En ce moment, des enfants de la rue ou issus de familles pauvres participent à des ateliers de théâtre, donnés par des bénévoles dans chacun des pays respectifs.

La jeune cinéaste compte ensuite apprendre aux participants les rudiments du cinéma afin que chaque groupe réalise une courte fiction. Les Québécois commenceront et ils enverront leur œuvre aux Brésiliens, qui poursuivront l’histoire de leurs homologues et ainsi de suite. Durant le processus de création, Anaïs filmera les jeunes pendant une vingtaine de jours afin de capter des moments de leur quotidien et quelques-unes de leurs réflexions.

Le film des enfants sera intégré au documentaire de la jeune femme. Ce projet en développement, qui est encore à l’étape de la recherche, a amené la cinéaste engagée à constater que les enfants les plus pauvres ne vivent pas nécessairement à l’autre bout de la planète. « Il a fallu que je fasse le tour du monde pour me rendre compte que la pauvreté est à côté de chez moi. » Selon Anaïs, les enfants défavorisés d’ici sont probablement ceux qui auront le plus de difficulté à s’en sortir, même si d’un point de vue matériel, ils ne sont pas aussi démunis que les autres. « C’est une misère cachée entre quatre murs. La plupart des gens ne sont pas conscients de son existence. »

« Cas par cas »

Comment faire pour aider nos petits Québécois ? D’abord, il faut médiatiser le problème, selon Anaïs, qui croit aussi que l’on peut changer les choses, en faisant du « cas par cas ». Dernièrement, elle est devenue la grande sœur de Geneviève, une enfant de 12 ans qui habite le quartier Hochelaga. « C’est comme si je me rattrape pour tous les autres enfants que j’ai laissé tomber. C’est difficile d’arriver dans un pays, de filmer et de repartir. Geneviève habite à 15 minutes de chez moi en métro. Je peux tout lui donner, elle est à côté. Tout ce que je fais, c’est l’aimer. Notre relation est vraie et c’est réconfortant. »

À 24 ans, Anaïs a déjà énormément filmé et voyagé. Elle a gardé des amis à travers le monde qui lui permettent de rester en contact avec une autre réalité, une autre façon de voir les choses. La jeune femme raconte avec émotion le moment où elle est allée retrouver les enfants du bidonville, au Honduras, trois ans après la représentation du Petit Prince. Elle les a retracés un par un, en allant cogner aux portes. Et comment la cinéaste réussit-elle à combler à la fois son besoin d’aider les autres et sa passion pour le cinéma ? Anaïs répond avec un sourire : « J’aimerais être vraiment convaincue que c’est utile de faire des films. Je ne le suis pas complètement... Une chose est certaine. Je ne veux plus filmer pour montrer, je veux filmer pour construire. »

Eza Paventi, journal Alternatives


DESCRIPTION PHOTO : Anaïs Barbeau Lavalette lors du tournage du film Les mots bleus, qu’elle a produit et réalisé dans le cadre de ses études à l’Institut national de l’image et du son (INIS).

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