Le 15 décembre, le gouvernement Charest a manipulé l’Assemblée nationale en feignant d’ajourner officiellement les travaux pour la convoquer, quelques heures plus tard, et adopter à toute vapeur la Loi 142. Une loi spéciale contre EUX, les employés de l’État. Mais le gouvernement oublie qu’EUX, qu’il qualifie de privilégiés, font partie de NOUS ; NOUS les travailleuses et les travailleurs, nous la classe moyenne, nous le monde ordinaire.
À travers cette loi, le gouvernement poursuit son œuvre de démolition. Ce ne sont pas que les salariés de l’État qu’il a attaqués. Ses cibles premières sont les services publics et le syndicalisme. C’est toute la société québécoise qui est attaquée.
Droits bafoués
Pour les employés de l’État, le droit à la négociation est bafoué pendant près de 7 longues années, jusqu’en avril 2010. Pendant plus de 2 ans, leur salaire est gelé : ce faisant, ils viennent de perdre 5 % de pouvoir d’achat pour 2004 et 2005. Pour chacune des 4 années subséquentes, ils recevront 2 % d’augmentation. Ils accusent déjà un retard de plus de 20 % sur les salaires du secteur privé syndiqué.
Le décret prévoit aussi de très fortes amendes aux personnes et aux syndicats qui voudraient utiliser des moyens de contestation, pourtant légitimes, qui auraient pour but de ralentir, altérer ou diminuer les activités de travail, directement ou indirectement. C’est le « toé tais-toé » de Maurice Duplessis !
Le premier ministre Charest a d’ailleurs laissé entendre, tout de suite après le coup de force, qu’il pourrait s’agir d’une très bonne façon de déterminer les salaires dans le secteur public à l’avenir. Les employés de l’État ne seraient donc pas des travailleurs comme les autres, qui ont le droit d’être syndiqués et de négocier leurs conditions de travail ? Inadmissible. Depuis 40 ans, la négociation du secteur public a permis d’améliorer les conditions de travail et les services publics pour la population. Et plusieurs gains, comme les congés de maternité, ont rejailli sur l’ensemble des travailleurs. Eux, travailleurs syndiqués ou non, c’est nous.
Des attaques planifiées contre NOUS
Le décret s’imbrique dans toutes les lois précédentes que ce gouvernement a adoptées, qui ont pour but de démanteler l’État, baisser le taux de syndicalisation au Québec, faire glisser vers le privé des pans entiers des services publics.
Ce gouvernement s’en prend aussi aux plus pauvres d’entre nous, les personnes assistées sociales. Les prestations des personnes jugées aptes au travail ne sont pas indexées, forçant celles-ci à vivre avec un revenu bien en deçà du seuil de pauvreté. Pourtant les emplois disparaissent, se « Wal-Martisent », la précarité s’installe partout, au détriment des femmes en particulier. Elles, c’est nous.
Les centres à la petite enfance sont durement attaqués. Ils sont pourtant un des fleurons des batailles passées des parents et des travailleuses, des mouvements communautaires et syndicaux. Un exemple de réussite cité maintes fois ailleurs au Canada. Les garderies sans but lucratif ne sont plus la priorité du gouvernement. Il veut que le futur passe avant tout par des services privés et par la garde en milieu familial. Mais une garde en milieu familial dont les travailleuses seraient isolées. Ces femmes, d’ailleurs, ne sont plus considérées comme des travailleuses. Elles n’auront plus de lien avec la garderie, et le droit d’être syndiquées leur a été interdit. Un précédent dans l’histoire depuis Duplessis : le gouvernement a désyndiqué les femmes qui travaillent en milieu familial. Ces enfants, c’est nous. Ces travailleuses, c’est nous.
Est-ce le modèle que le gouvernement veut développer dans la santé, les services sociaux et dans l’éducation ? En partie par le privé ? En partie dans les domiciles avec peu de ressources ? Sur le dos des travailleuses et des travailleurs ? En rognant sur la qualité et l’accessibilité des services ?
Est-ce le modèle qu’il veut implanter pour les services aux personnes âgées ? Elles ont tissé, patiemment, le Québec d’aujourd’hui. Elles n’auraient pas le droit à des soins dans le réseau public, de bonne qualité, donnés avec attention par du personnel qualifié et syndiqué ? Les personnes âgées, c’est nous.
Les intérêts des Autres
Les Autres, du haut de leur richesse et de leur pouvoir, nous diront bientôt qu’ils veulent baisser les impôts pour notre bien. Il faudra prendre l’expression au pied de la lettre : ils veulent notre bien, ils veulent faire main basse sur notre bien commun, nos joyaux collectifs que sont les services publics. Les doigts longs, leurs prochains butins, espèrent-ils, seront les augmentations de tarifs, les privatisations, les partenariats public-privé dans la santé, l’éducation, l’eau, les services municipaux, les transports. Ils ne modernisent pas le Québec ; ils utilisent, « lucidement », des vieilles recettes néolibérales qui provoquent le chaos ailleurs dans le monde.
Pour ce faire, ils veulent écraser, en premier, celles et ceux qui sont les empêcheurs de privatiser en rond : les syndicats tout comme le mouvement communautaire, étudiant, écologiste et féministe.
Le gouvernement, en décrétant, voulait faire des syndiqués de l’État de la chair à sondages pour remonter sa cote de popularité. Les Québécois n’ont pas été dupes. La bataille pour des conditions de travail décentes sera toujours intimement liée à celle de services publics de qualité. Le gouvernement n’avait aucune raison d’imposer une loi spéciale. Il découvre, encore plus, son vrai visage.
La société qu’il privilégie en est une d’individualisme, d’« au plus fort la poche » et tant pis pour les autres car ils sont responsables de leurs malheurs ! Détruire la capacité collective de construire une digue sociale contre l’injustice et l’iniquité. Voilà dans quoi s’inscrit ce décret odieux : un pas supplémentaire vers une société dont NOUS ne voulons pas !