Opinion

Entreprises psychopathes : les poursuites bâillons

jeudi 27 mars 2008, par Raymond Favreau

La Commission sur les institutions de l’Assemblée nationale tient des audiences publiques sur des réformes au code de procédure civile concernant les poursuites stratégiques contre la mobilisation publique (SLAPP ). Voici la position défendue par ATTAC-Québec sur ce sujet.

Dans son ouvrage sur les entreprises, Joel Bakan décrit les comportements nocifs d’entreprises à la recherche de profits et du pouvoir, sans égard pour l’intérêt des citoyens ou de l’environnement, comme étant pathologiques. Dans le cas de nombreuses poursuites judiciaires intentées par des entreprises du G7 au fil des dernières décennies contre des groupes écologiques et militants ayant critiqué leurs pratiques ou leurs produits, en vue de les faire taire, on pourrait parler de comportement psychotique.

Ces actions, connues sous le nom de poursuites stratégiques contre la mobilisation publique, ou SLAPP, sont intentées sans espoir sérieux de gagner, mais en vue d’intimider et de décourager les membres de la société civile, qui n’ont pas les moyens financiers pour se défendre contre des compagnies ayant d’énormes ressources et utilisant de grands cabinets d’avocats et de nombreux experts grassement payés.

On a vu ces recours abusifs aux tribunaux ici et là dans le monde. Par exemple McDonald’s à Londres, pour intimider des citoyens qui dénonçaient la friture cancérogène de leurs hamburgers et leurs mauvaises relations de travail. En France, où l’entreprise Taser poursuit le Réseau d’alerte et d’intervention pour les droits de l’homme pour dénigrement du Taser X26 (une arme pouvant tuer et servir d’instrument de torture). Dans l’affaire McDonald’s, des militants associés à Greenpeace ont perdu devant les tribunaux britanniques, et n’ont eu gain de cause que devant la Cour européenne des droits de l’homme.

Au Québec, on dénombre une dizaine de poursuites bâillons. Entre autres, celle intentée par la filiale québécoise du ferrailleur AIM contre le Comité de restauration de la rivière Etchemin et l’Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA), et celle des promoteurs du projet Rabaska à l’encontre des écologistes s’y opposant. Ces SLAPP ont donné naissance à un mouvement de divers groupes et syndicats exigeant du gouvernement du Québec qu’il suive l’exemple de nombreux pays, États américains et provinces, qui ont modifié leur droit pour limiter l’usage de poursuites bâillons. Aux États-Unis, les SLAPP violent des droits reconnus par la Constitution ; ailleurs, il s’agit d’atteintes à la liberté d’expression, droit reconnu spécifiquement par la Charte des droits et libertés du Québec. Et dans presque tous les cas, cette instrumentalisation de l’appareil judiciaire oppose des parties tout à fait inégales, signe d’un contexte de mondialisation qui alimente la montée des inégalités.

Les modifications au droit québécois que recommandent le rapport commandité par le ministère de la Justice ainsi que plusieurs organismes qui ont déposé des mémoires auprès de la commission de l’Assemblée nationale, visent à rétablir l’équilibre entre les parties. De l’argent serait mis à la disposition de groupes et de citoyens attaqués par des poursuites bâillons, et les procédures seraient simplifiées et accélérées, afin de permettre au juge saisi de l’affaire de rejeter sommairement les poursuites réputées être des SLAPP.

Dans son mémoire, ATTAC-Québec recommande quelques mesures supplémentaires. Premièrement, une définition très large du SLAPP, qui en faciliterait l’identification. Deuxièmement, sans égard à la motivation de l’entreprise qui intente la poursuite, dès que son effet est de bâillonner ses critiques ou de contrer la mobilisation publique, il est demandé que le juge la rejette.

ATTAC-Québec préconise aussi l’approche adoptée par les Australiens (que le rapport n’a pas retenu), qui est de priver les entreprises de dix employés ou plus du recours en libelle diffamatoire. Un grand nombre de SLAPP allèguent une atteinte à la « réputation » de l’entreprise. Or, historiquement ce remède a été conçu pour les personnes physiques, pas pour les entreprises. Celles-ci n’ont ni amour-propre, ni coeur ni âme. Ce que les entreprises ont n’est pas une réputation au même titre que les individus, mais plutôt un achalandage, qu’elles peuvent très bien défendre par la publicité, et que d’ailleurs elles déprécient chaque année, pour réduire leurs impôts. À l’occasion, nous voyons des annonces pleines pages dans le New York Times, que les compagnies pharmaceutiques utilisent pour contrer la critique de leurs produits par des scientifiques, façon plus appropriée de débattre de leur « réputation » que devant les tribunaux.

Depuis les années 1980, l’État a réduit ses effectifs et ses budgets pour surveiller et mettre en application les règlements de protection de l’environnement et du bien commun. À défaut de voir l’État appliquer le droit contre les multinationales et de protéger le public, ce sont des ONG et des militants engagés qui se voient obligés de dénoncer les méfaits des entreprises pathologiques et psychotiques. Pour ce faire, ils doivent être mieux protégés des recours abusifs du monde des affaires, dont les moyens ont augmenté énormément. ATTAC-Québec souhaite donc que le droit québécois soit rapidement mis à jour afin de protéger l’exercice du droit de parole des militants et des associations écologiques et altermondialistes, afin de permettre que les débats puissent se faire ouvertement sur la place publique et sans menace d’intimidation de la part des maîtres du monde.


Raymond Favreau, coordonnateur du conseil scientifique d’ATTAC-Québec

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