Pour sa 8e édition, le Festival international de la littérature de l’Union des écrivains et écrivaines du Québec (UNEEQ) a choisi d’orchestrer l’événement sous les thèmes de l’exil, la guerre, la haine, l’intolérance, la peur, l’oubli... Parmi les invités internationaux, se trouvaient trois femmes hors pair, romancières et nouvellistes, qui à leur façon nous raconte « là-bas ». Là-bas c’est ce qu’elles ont laissé derrière elles : le Vietnam, l’Afghanistan, l’Argentine.
Née à Dalat en 1963, Linda Lê a quitté précipitamment le Vietnam à la chute de Saigon avec sa mère, française, et sa sœur, pour ne plus jamais y retourner ni revoir son père, mort en 1995. C’est en 1990 que Spôjmaï Zariâb, née à Kaboul en 1949, est contrainte à l’exil. Elle est depuis installée avec sa famille à Montpellier, en France, un pays qu’elle connaissait bien pour y avoir fait ses études de doctorat au début des années 70. Quant à Elsa Osorio, née en 1953 à Buenos Aires, elle enseigne aujourd’hui l’écriture et les communications à Madrid et travaille pour la Ligue des droits de l’Homme. Elle est une militante active du mouvement pour l’abolition des lois d’amnistie qui en Argentine protègent les militaires responsables des crimes commis sous la dictature.
Derrière elles
Toutes trois ont laissé derrière elles, un passé historique et politique très lourd d’implications pour leurs pays et sociétés, mais qui a aussi pour conséquence de transgresser leurs œuvres littéraires, qu’elles le veulent ou non par ailleurs. Linda Lê est de fait mal à l’aise avec l’idée de toujours vouloir voir dans les écrits des écrivains une critique ou une certaine peinture de la société ou d’une époque : « Je refuse complètement cette idée, ce parallélisme », dit-elle, enchaînant sur la littérature qui ne doit être et rester que de la littérature. Une certaine idée de pureté. Ce avec quoi Elsa Osorio n’est pas d’accord. Elle trouve plutôt normal qu’on lui pose des questions sur la dictature et sur la question des enfants volés pendant cette période par les bourreaux mêmes de leurs parents opposants au régime. « C’est ce dont il s’agit dans mon dernier livre. »
Écrit-on différemment parce qu’on est en situation d’exil ? Quelques soupirs, les yeux se baissent, un moment de réflexion. C’est Spôjmaï Zariâb qui la première prend la parole : « Ce n’est pas un choix [l’exil], on a dû se l’imposer. C’est la même chose pour les immigrants économiques. C’est toujours un déchirement, même si au bout il y a l’espoir. C’est une cassure, une brisure. » Laisse-t-elle sous-entendre que nécessairement cela change l’écriture ? Cette fois c’est Elsa Osorio qui répond : « Quand on écrit, nous sommes des gens exilés, même sans jamais avoir quitté notre pays. S’il y a une place pour l’écriture, c’est l’ailleurs. » En cela, l’auteure argentine rejoint tout à fait la pensée de la très réservée, presque sévère, Linda Lê. Et puis de toutes façons, « le présent fait partie du passé, c’est un aller-retour continuel », enchaîne dans un grand sourire Spôjmaï Zariâb, petite femme frêle dont toute la force réside dans l’intensité du regard, comme une urgence de continuer à vivre, à écrire.
Également souriante, la blonde et détendue Argentine acquiesce à cette idée d’un « passé présent », qui serait aussi un « présent passé ». La littérature dit-elle c’est « écrire ce qui se passe maintenant, ce qui va se passer ». Linda Lê ajoute : « Elsa a raison. La littérature c’est Cassandre. Ce n’est pas seulement un travail sur l’Histoire. Il y a un peu de prophétie. La fiction va plus loin, voit plus loin. » Voici un présent passé devenu futur.
Écrivent-elles par devoir de mémoire ? Là-dessus, Spôjmaï Zariâb et Linda Lê affirment que non. En tout cas pas comme ça, crûment, pas au départ. Ce serait un acte plutôt spontané comme dans toute œuvre de création, selon l’auteure afghane. Là encore, Elsa Osorio nuance, met des bémols. « Moi je sens le devoir d’écrire. Je suis un peu partagée entre la vie et la littérature. Ça devient une chose très importante pour la mémoire collective, même si au départ ce n’était pas là notre intention, qu’on ne voulait seulement qu’écrire un roman. »
Souhaits
En guise de conclusion, les trois auteures partagent leurs souhaits pour la littérature, le pays qu’elles ont laissé. Linda Lê ne souhaite qu’une chose, que la littérature vietnamienne soit plus et mieux connue en France, et puis finalement que la littérature tout court franchisse les frontières quelles qu’elles soient. De son côté, Spôjmaï Zariâb dit ne pas pouvoir se payer ce luxe pour l’instant. Son seul souhait est donc que l’Afghanistan soit reconstruit, que les gens ne meurent plus. Est-elle optimiste ? « Je dois être optimiste, autrement ça ne vaut plus la peine de vivre » répond-elle sans hésitation.
Enfin, Elsa Osorio souhaite voir le jour où l’impunité cessera et la justice règnera. Et elle ne pense pas qu’aux responsables de la dictature, mais aussi à ceux qui ont mené le pays dans l’état de crise terrible où il se trouve présentement. Elle aussi est optimiste. « On est arrivé au fond, on ne peut que remonter. »
France-Isabelle Langlois, coordonnatrice et rédactrice, Alternatives