JAKARTA, OCTOBRE 2003 - Alors que j’attends dans le hall d’entrée du World Trade Center à Jakarta, l’édifice qui abrite l’ambassade canadienne en Indonésie, des cris et des chants s’élèvent à l’extérieur. Un petit groupe d’individus provenant des villages de l’île de Sulawesi et des membres d’organisations environnementales protestent contre les actions de la compagnie minière canadienne INCO en sol indonésien.
L’événement fait partie d’une série de manifestations à l’échelle internationale ayant pour but d’attirer l’attention non seulement sur les impacts environnementaux des opérations minières d’INCO, mais aussi sur les pressions que le gouvernement canadien exerce sur son homologue indonésien, afin d’ouvrir des zones jusque-là protégées contre les activités minières. L’utilisation de l’armée indonésienne pour déplacer les communautés locales des zones d’exploitation de la compagnie canadienne est aussi dénoncée.
Les habitants de Sulawesi revendiquent un autre type de sécurité que la sécurité d’État à laquelle on fait référence lorsqu’il est question de « guerre contre le terrorisme », un concept maintenant bien ancré en Indonésie. Ils demandent plutôt une sécurité personnelle, qui passe d’abord par le respect des droits humains, environnementaux et fonciers.
La grande majorité des familles indonésiennes dépendent encore de l’agriculture, leur première source de revenus. La peur de perdre leurs droits fonciers et de voir l’environnement détruit par l’extraction minière ou pétrolifère amène ces communautés à élever leurs voix pour signifier leur désaccord profond envers le système de propriété foncière.
Pendant longtemps, la propriété foncière et son utilisation ont constitué le cœur des débats politiques en Indonésie. Le gouvernement, qui affirme que toutes les terres du pays lui appartiennent, s’approprie ainsi régulièrement les champs des petits agriculteurs pour les revendre à des compagnies internationales ou à des groupes locaux d’intérêts privés ou gouvernementaux. Que ce soit un petit producteur de riz à Java ou un agriculteur nomade qui cultive du cacao au Sulawesi, chacun craint de se réveiller un matin et de découvrir que leurs droits à leurs terres ancestrales ont été bafoués par le gouvernement. C’est ce qui est arrivé à des millions d’Indonésiens dans le passé, le plus souvent sans compensations.
En réaction, le gouvernement renforce la « sécurité », prétextant le mouvement séparatiste dans les régions de Papua et Aceh, et appuie les campagnes militaires. Ces dernières ne visent pas seulement à contrôler les communautés autochtones, mais aussi à accroître la présence des militaires, impliqués dans l’exploitation illégale du bois et dans le racket entourant les différentes industries d’exploitation des ressources naturelles.
Au Sulawesi, où la majorité des opérations d’INCO sont basées, les programmes d’immigration subventionnés par le gouvernement, la compétition pour des ressources qui s’amenuisent et les campagnes de sécurité déchirent la communauté et alimentent la violence. Des milliers de paysans ont été tués, et beaucoup plus ont fui leurs terres en raison du conflit. L’armée, qui reçoit un appui direct d’INCO, encourage la violence afin de justifier sa présence dans la région, pour ensuite s’approprier les entreprises les plus rentables, comme les plantations de cacao, après que leurs propriétaires les aient désertées.
Alors que plusieurs voudraient nous faire croire que l’appui à la militarisation et au commerce international sont les clés de la sécurité, les paysans de Sulawesi voit le terrorisme d’un autre œil. Pour eux, la terreur porte le nom d’INCO. C’est le message qu’ils ont voulu transmettre lors de leur passage à l’ambassade canadienne.
Alex Hill