Andreï Makine est né en Union soviétique sous le régime stalinien. Il a grandi dans cet univers rigide pris entre le passé de la grande Russie et l’Occident inaccessible. Le romancier est un grand romantique, un grand nostalgique aussi. Nostalgique de la Russie spirituelle, nostalgique de la France, celle des écrivains, des poètes et des philosophes.
Après la chute de l’Union soviétique, Andreï Makine n’hésitera pas très longtemps à partir s’installer en France, à Paris. Lorsqu’on lui demande pourquoi, il répond : « Parce que j’écris en français et parce que Paris est une ville qui m’attire. C’est un centre de pensées et d’intellectuels. » On a soudainement l’impression d’une logique inversée... Mais sitôt dit, sitôt fait. Makine, installé à Paris, écrit en français, dans un très beau français. Ses romans sont tous de grands succès. En 1998, avec Le testament français, il remporte le prix Goncourt.
Avec La femme qui attendait, Andreï Makine nous livre une fois de plus un roman où les mots et les phrases s’enchaînent élégamment, coulent de source mais ne se ressemblent jamais. À travers les infinies possibilités qu’offre la langue française, le romancier nous raconte une fois de plus et pour notre plus grand bonheur l’Union soviétique de sa jeunesse qui n’a jamais vraiment cessé d’être russe. C’est aussi l’empire au féminin qui nous est conté. « C’est surtout un roman sur l’énigme de la féminité » résume l’auteur, qui ajoute perplexe : « Est-ce que l’homme peut le comprendre ? »
Dans ce très beau roman, Makine a décidé de faire revivre un personnage qui existait déjà dans un de ses premiers livres : « Elle m’a attendu 10 ans, dans ma tête, elle m’attendait... un si grand destin... » Cette femme, c’est Eva. Elle vit dans une bourgade boueuse, reculée et isolée du nord du pays, parmi un tas de vieilles femmes dont elle prend soin. Tous les jours, à l’image de tant d’autres femmes de sa génération, elle attend, en vain, le retour de son amoureux parti à la guerre et mort au combat comme des millions d’autres, laissant ainsi un pays avec un trop plein de jeunes veuves vieillissantes, sans mari sans enfant.
Avant la fin
Et le romancier de laisser tomber : « De fil en aiguille, avec le choix cruel de la vie, il n’y a plus de choix. » Ici l’histoire de la femme qui attend et celle de l’Union soviétique se confondent. L’histoire se déroule en ces années qui précèdent la fin. « C’est la fin de l’Empire, c’est un temps très intéressant. Il y a quelque chose, une logique qui s’épuise. »
Aujourd’hui, le communisme effondré, emporté par la chute de l’Empire soviétique, Makine regarde passer l’histoire en se disant que le communisme exprimait de façon plus classique ce que les altermondialistes disent aujourd’hui. Seulement, le communisme était coupé de toute transcendance. L’altermondialisme saura-t-il éviter cet écueil ? Andreï Makine semble en douter car, dit-il, si s’assurer que tous aient du pain est certes une bonne chose, ce n’est cependant pas suffisant. Il faut se demander : « Est-ce que ça rend les gens heureux ? » S’il y a une révolution à faire, c’est bien celle-là.
Nul doute, pour le romancier, si le bonheur n’est pas dans le pré, il est dans la spiritualité. « Avec cette folie capitaliste, moi je pressens qu’il y aura un retour à cette spiritualité qui a animé les Russes. Je crois beaucoup à la poésie, à la philosophie. » Car pour Makine, la spiritualité, ce n’est pas la religion. « La religion peut arriver à des choses effroyables. Et on en est proche finalement. »
Dans La femme qui attendait, le personnage d’Eva, celle qui attend, incarne cette spiritualité dont parle l’auteur.