Le 7 décembre 2003, jour des élections législatives en Russie, le président Vladimir Poutine apparaît à la télévision avec une mine étonnamment radieuse. L’homme, d’un naturel plutôt taciturne, paraît soulagé, comme si on venait de le délester d’un grand poids.
Le président russe a-t-il une grande nouvelle à annoncer à la population ? La paix a-t-elle été conclue en Tchéchénie ? Pas du tout. Vladimir Poutine est transporté de joie parce que sa chienne préférée, un labrador surnommé Connie vient d’avoir une portée de chiots. « Vladimir Vladimirovitch était tellement inquiet », explique son épouse.
Le même jour, dans le Caucase du Nord, la petite ville d’Essentouki enterre les 13 victimes d’un attentat horrible commis la veille dans un train bourré d’étudiants. Mais le bon Poutine, le nouveau tsar de toutes les Russies, n’en a que pour les chiots de Connie. Ce qui n’empêche pas son parti d’être triomphalement réélu, le soir même.
Ainsi commence le Journal d’une femme en colère de la journaliste russe Anna Politkovskaïa. La chronique quotidienne du lent glissement de la Russie vers le despotisme. Le récit méthodique de la confiscation du pouvoir par le président Poutine et ses mignons, avec la complicité des médias, des tribunaux et même d’une partie de l’opposition. En Russie, on a même vu des dirigeants de l’opposition appelant à voter Poutine !
Rendue célèbre pour ses reportages sans concession sur la guerre en Tchéchénie, Anna Politkovskaïa constitue un témoin privilégié de la nuit russe. Un triste pays où le nombre de votants excède parfois le nombre d’électeurs inscrits. Un monde déboussolé dans lequel des haut gradés ont fait exterminer des soldats pour qu’il n’y ait pas de témoins de leur incompétence.
« Ai-je peur ? », se demande la journaliste dans la conclusion de ce journal qui se termine en août 2004. Il est vrai qu’au fil des pages, la chroniqueuse sent le vide se créer autour des rares opposants qui refusent de se rallier. « Tu exagères », lui disent parfois certains amis, qui ne semblent pas voir le danger qui s’approche.
Jusqu’au bout, Politkovskaïa aura espéré un sursaut du peuple russe, une évolution en douceur vers une société plus juste. Mais pour elle, il était déjà trop tard. Le 7 octobre 2006, elle meurt assassinée par des inconnus devant son domicile de Moscou.