Des paroles pour faire écho

jeudi 28 février 2008, par Gabrièle Briggs

Le 9 février, à Montréal, le collectif Échec à la guerre organisait une journée d’audiences populaires sur l’avenir de la mission canadienne en Afghanistan. Une quarantaine d’organismes sont venus déposer leur mémoire à la présidente d’honneur, l’écrivaine Antonine Maillet, et aux commissaires, l’écrivain François Avard et le militant altermondialiste Robert Jasmin.

Les mouvements de femmes, les partis politiques, les syndicats et les organismes communautaires présents aux audiences populaires se sont entendus sur un point : la présente approche militaire du Canada en Afghanistan est injuste, inadéquate et doit cesser dès maintenant. Ils ont aussi ouvertement critiqué le rapport Manley dont les conclusions favorisent la prolongation de la mission canadienne au-delà de février 2009. « Le fameux rapport du commissaire indépendant John Manley, dresse un mandat d’échec et arrive à la conclusion qu’il faut faire davantage de ce qui ne marche pas », a résumé Alexandre Boulerice du NPD, en faisant référence aux opérations militaires qui n’arrivent pas à mettre fin à l’insurrection des talibans.

L’impartialité du comité Manley a aussi été remise en doute. Raymond Legault, porte-parole du collectif Échec à la guerre, a fait état des relations entretenues par les membres du comité avec l’industrie militaire et énergétique. Il a aussi relevé leur implication dans des négociations de partenariats avec les États-Unis. Ainsi, Pamela Wallin est conseillère aux relations canado-américaines auprès de la Société des Amériques et du Conseil des Amériques. Elle a également été consule générale du Canada à New York de 2002 et 2006. L’ex-ambassadeur canadien à Washington, Derek Burney, est quant à lui président du conseil d’administration de CanWest Global Communications et membre du conseil de TransCanada Pipeline. Des curriculum vitae plus que révélateurs, selon le collectif, quand il s’agit d’élaborer un rapport sur une mission militaire chapeautée par les Américains.

Non à l’OTAN en Afghanistan

La légitimité de l’OTAN dans la mission afghane a été dénoncée. Selon les participants, l’organisation internationale a échoué dans sa mission de stabiliser le pays. « Le Canada devrait demander à l’OTAN de céder sa place à l’ONU. Si la mission canadienne est si militaire et si peu humanitaire, c’est parce qu’elle est sous la supervision d’un organisme avant tout militaire, l’OTAN », a mentionné le directeur général d’Alternatives, Michel Lambert. Il a ajouté que les soldats canadiens ne devraient intervenir que dans le cadre d’une mission de paix de l’ONU.

D’autres sont carrément contre une quelconque présence militaire canadienne en Afghanistan, comme c’est le cas pour le Centre de ressources sur la non-violence.

Tous s’entendent cependant pour dire que les opérations militaires mènent à une impasse. Comme constat d’échec, on peut mentionner une croissance fulgurante du commerce des opiacés, un nombre de réfugiés qui atteint les 2 millions seulement au Pakistan et un gouvernement dirigé par les seigneurs de guerre qui bafouent les droits de l’homme et se servent de l’aide internationale dans leurs propres intérêts.

Les femmes afghanes comme outil de propagande

Ces audiences ont donc été l’occasion de mettre en avant-plan le côté humanitaire de la mission. Les organismes présents se sont dits lassés de voir les médias se concentrer sur la promotion des Forces canadiennes et des politiciens de passage à Kandahar. Ils se sont de plus indignés de l’instrumentalisation du sort des femmes afghanes. La Fédération des femmes du Québec dénonce le fait que rien n’a été mis en place pour protéger les Afghanes sous le régime taliban, alors qu’aujourd’hui leur cause est utilisée pour justifier ce conflit militaire.

Malgré toutes les bonnes intentions des forces internationales, la situation des femmes ne s’est en effet nullement améliorée. Citant le rapport du groupe Womankind Worldwide paru en octobre 2006, la Fédération des femmes du Québec a relaté que « depuis le début de la guerre, la violence envers les femmes afghanes a augmenté de façon importante. L’intérêt proclamé par la communauté internationale pour défendre les droits des femmes afghanes n’a pas été traduit sur le terrain... Les programmes développés sont inappropriés dans le contexte afghan et la majorité des besoins essentiels pour les femmes et les filles demeurent non comblés. »

De l’argent pour l’humanitaire, pas le militaire

Le débat s’est ensuite poursuivi avec l’intervention du Conseil régional de la fédération des travailleurs du Québec de Montréal métropolitain, du Conseil central de Montréal et de la Fédération nationale des enseignants du Québec. Les trois organes syndicaux ont appelé le gouvernement à redéfinir la mission canadienne dans une optique humanitaire. Selon la FTQ, le fédéral doit augmenter son aide aux organismes locaux et recentrer la mission sur les besoins des Afghans. Au lieu de dépenser des millions en aide et des milliards en opérations militaires, le Canada devrait plutôt débourser des milliards en aide et des millions pour la sécurité en Afghanistan.

Raymond Legault s’est dit satisfait de la journée d’audiences. Cet exercice était selon lui nécessaire pour donner la parole à ceux qui n’ont pas été entendus par le comité Manley. « On aurait souhaité une commission publique, mais le gouvernement Harper ne voulait pas qu’il y ait des gens pour dire qu’il faut sortir de l’Afghanistan. » François Avard déplore pour sa part que les médias ne soient pas les porte-parole de l’opinion de la population qui, selon les sondages, est majoritairement contre la guerre en Afghanistan. L’écrivaine Antonine Maillet, présidente d’honneur des audiences, demeure optimiste : « Si une parole est assez forte, elle peut multiplier les échos et atteindre les personnes qui prennent les décisions. »

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