
Des milliers de familles vivent encore sur les toits aux Gonaïves, cinq mois après l’ouragan et son déluge meurtrier. « Pour la plupart des maisons détruites, rien n’a encore été fait et, d’ici deux mois, il va recommencer de pleuvoir », s’inquiète Roger Bracke, de la Fédération des Croix-Rouge.
L’ouragan a provoqué, les 17 et 18 septembre derniers, l’inondation quasi totale de la ville des Gonaïves et de sa région. Les eaux ont emporté ou enseveli environ 3 000 personnes ; 35 000 maisons ont été endommagées et 5 000, détruites. « Normalement, la Croix-Rouge ne fait pas de construction. Mais, ici, on va construire des centaines de maisons pour les plus vulnérables », explique Roger Bracke.
Néanmoins, les travaux progressent malgré la faiblesse de l’État haïtien et les bandes armées. La phase de secours est terminée. Les Croix-Rouge de Norvège et du Québec ont plié les tentes qui abritaient l’hôpital temporaire et viennent de transférer la gestion de l’hôpital rénové au ministère de la Santé. Hydro-Québec a rétabli le courant. Le Centre canadien d’étude et de coopération internationale (CECI) a remis les dernières denrées recueillies par le radiothon de Montréal.
Les ONG du Québec, qui ont récolté 5,5 millions pour les secours aux sinistrés, poursuivent leurs collectes pour rebâtir la ville ruinée. Oxfam-Québec et les Nations unies sont dans les champs pour relancer les cultures. Développement et paix et des vétérinaires locaux aident les paysans à reconstituer les cheptels.
Apaisement de la violence
« La sécurité est maintenant sous contrôle aux Gonaïves », affirme le Chilien Juan Gabriel Valdès, qui dirige la Mission des Nations unies pour la stabilisation d’Haïti (MINUSTAH), qui compte 6 000 soldats et 1 400 policiers internationaux. « Le carnaval a eu lieu sans grave incident », note Hanna Mollan, administratrice de l’hôpital de la Croix-Rouge.
Les ONG et les agences humanitaires parviennent à remettre les colis d’aide aux sinistrés, mais opèrent sous la haute garde des militaires de l’ONU. « On a réussi à nourrir toute la ville, mais ce n’est pas normal de s’accompagner de tanks et de machine-gun pour aller porter de la bouffe ! », s’exclame Guy Gauvreau, le Québécois qui dirige le Programme alimentaire mondial des Nations unies en Haïti.
Première cause des désordres : la population est désespérée. La crise humanitaire a frappé les Gonaïves bien avant la tempête, car la révolte qui a forcé le président Jean-Bertrand Aristide à l’exil, en février 2004, s’était d’abord embrasée dans cette ville du nord-ouest du pays. Mais il y a aussi les bandes armées, qui compliquent le « passage à une phase de développement », déplore la Coordination humanitaire des Nations unies.
Démocratiser la ville sinistrée
Des élections auront lieu en novembre et décembre 2005 en Haïti, pour remplacer l’ex-président Aristide. Une violente rébellion, doublée de l’opposition d’une large partie de la société civile, l’a forcé à l’exil, après que les États-Unis soient intervenus dans le conflit.
On a accusé Aristide et son parti Fanmi Lavalas de pratiques dictatoriales et de gestion erratique. Cependant, la rébellion a été menée par d’anciens militaires démobilisés, coupables d’une répression féroce durant le coup d’État de 1991 à 1994, ainsi que de bandes armées qui ont pratiqué des décapitations de policiers dans les rues.
La Mission des Nations unies pour la stabilisation d’Haïti et le gouvernement intérimaire de Gérard Latortue « doivent désarmer tous les groupes », affirme Marthe Lapierre, de Développement et paix. « Mais, ajoute-t-elle, pour démocratiser Haïti et les Gonaïves, ça prend aussi une société civile forte. » En plus de la reconstruction, son organisme utilise donc les dons du public pour soutenir des associations de paysans. « Nous aidons aussi des groupes de femmes à se réorganiser, explique Mme Lapierre. Plusieurs de leurs membres ont été emportés par les eaux. »
« Ici, c’est l’urgence, tout presse, mais nous prenons quand même du temps pour engager les habitants dans les décisions », explique pour sa part Jaquelin Eugène, un Haïtien qui travaille pour le CECI. Durant l’opération de remise de 5 000 trousses de cuisine et d’hygiène, en novembre, M. Eugène a mobilisé des comités de quartier. « C’est plus long, convient-il, mais nous tenons à fortifier le leadership dans les communautés. »
Haïti en aura besoin. La tempête a viré à la catastrophe écologique aux Gonaïves, en raison du déboisement massif. Rien n’a retenu l’eau sur son passage dans les montagnes. En Haïti, il ne reste que 2 % des forêts. D’autres désastres risquent de se produire, conséquences des décennies de pauvreté et de mauvaise gouvernance. « On va devoir mobiliser toute la société », avertit Yves-André Wainwright, le ministre de l’Environnement et coordonnateur de la reconstruction des Gonaïves.