Nul besoin de s’étendre sur le peu de liberté de manifester qui existe en Palestine. Alors que plus de 130 manifestant.e.s palestinien.ne.s à Gaza étaient abattu.e.s par l’armée israélienne en avril et mai 2018, les manifestations de soutien en Cisjordanie étaient elles aussi réprimées un mois plus tard, cette fois par l’Autorité Palestinienne. Au sein même de l’État israélien, les Palestinien.ne.s sont des citoyen.ne.s de seconde zone dont les droits fondamentaux sont extrêmement limités.
De l’Europe à l’Afrique du Sud et dans toute l’Amérique, les populations colonisées ou héritières de cette histoire, aux ressources pillées par des multinationales, enfermées derrière des murs, ou victimes de la militarisation des villes, partagent un destin commun avec les Palestinien.ne.s. C’est parce que le soutien à l’autodétermination des Palestiniens converge avec la lutte contre le colonialisme et l’impérialisme américains, plus sioniste que les sionistes, et avec le capitalisme mondialisé, que Tadamon Montréal a appelé à un « contingent Palestine » solidaire lors de la manifestation contre le G7 à Québec le mois dernier.
Le reste de l’année, la solidarité avec la Palestine s’exprime principalement par la campagne internationale de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) contre l’apartheid israélien tant que ce pays discriminera ses citoyen.ne.s palestinien.ne.s, ne libérera pas les terres occupées (Cisjordanie, Bande de Gaza, Jérusalem Est et Plateau du Golan), et ne laissera pas les réfugiés rentrer chez eux. C’est donc cette campagne qui est principalement visée par les autorités des pays complices avec l’État israélien, dont le Canada et le Québec.
Reconnaissons que ces derniers n’ont pas encore mis en place les pratiques les plus répressives des pays occidentaux contre la Campagne BDS. La détentrice du record en la matière est la France, avec une législation assez floue pour permettre d’interdire des débats dans des universités, de fermer le compte Paypal d’une organisation pro-palestinienne, d’arrêter des manifestant.e.s portant des T-shirts « BDS », de poursuivre des militant.e.s et, parfois, de les condamner. De plus, certaines manifestations ont été interdites à Paris, et plusieurs militant.e.s identifié.e.s de la Campagne BDS France sont fiché.e.s « S », c’est-à-dire considéré.e.s comme ayant un profil qui peut menacer la sécurité de l’État français.
Si quelques procès ont été intentés contre des militant.e.s en Grande Bretagne, ils n’ont pas abouti. Les pays anglo-saxons (en premier lieu les États-Unis, la Grande Bretagne et le Canada) bénéficient d’une législation très forte en matière de protection des libertés individuelles, et cette stratégie de censure par les tribunaux, y est vouée à l’échec. Le danger, y compris au Québec, vient donc d’ailleurs. De quelles manières la liberté de manifester ses opinions politiques est-elle limitée, en particulier quand il s’agit de solidarité avec la Palestine ? Il est important de le savoir pour mieux pouvoir y répondre.
1) En visant le porte-monnaie : si l’on ne peut pas interdire les campagnes de boycott, on peut en revanche couper les fonds des organisations solidaires de cette campagne, afin de dissuader de nouveaux groupes de s’engager dans BDS. Le gouvernement canadien de Stephen Harper avait ainsi dans les années 2000, de façon discrétionnaire, coupé les fonds de nombreuses organisations jugées trop pro-palestiniennes (1). Aujourd’hui, les parlements d’une dizaine d’États américains essayent de formaliser cette approche, bien que les lois votées soient contestées devant les tribunaux (2). Certaines universités anglaises gênées par des débats pro-palestiniens ont également exigé des organisateurs des frais prohibitifs de « sécurisation », une forme de censure déguisée.
2) En assimilant antisionisme et antisémitisme : des groupes font pression sur les autorités concernées pour faire modifier les lois définissant l’antisémitisme, en particulier en Grande Bretagne, aux États-Unis et au Canada, mais aussi au Parlement Européen et à l’ONU. Le but est que toute critique légitime de la politique israélienne soit assimilée à des critiques racistes contre l’ensemble de la population juive mondiale. En témoigne le protocole d’Ottawa signé en 2011, bien que sans portée légale, qui associe antisémitisme et haine à l’égard d’Israël (3), et la déclaration en ce sens du ministre canadien de la Sécurité Publique Steven Blaney, à l’ONU en janvier 2015 (4).
3) En commençant petit : si l’on ne peut pas s’attaquer à la législation d’un pays, on peut commencer par faire voter des résolutions symboliques, ou faire voter des lois régionales, municipales, voire à l’échelle d’une université. Dans tous ces domaines, le Canada fait sa part, notamment avec la condamnation officielle et explicite de BDS par le parlement canadien en février 2016 (5), ouvrant la voie à des mesures coercitives, et permettant à des entreprises de se prévaloir de cette condamnation pour refuser une demande citoyenne de boycott.
Les méthodes « traditionnelles » de censure n’ont pas pour autant disparu, en témoignent les tentatives en Grande Bretagne de limiter la liberté des conseils municipaux dans leurs achats (6), ou celles aux États-Unis de chasse aux sorcières appliquée aux professeurs jugés trop pro-palestiniens (7). A tout cela s’ajoutent bien sûr le profilage politique des activistes, la surveillance sur internet, le sabotage de sites web militants, et la censure grandissante sur les réseaux sociaux.
Si l’on peut critiquer l’État canadien, on doit aussi remarquer que ces stratégies sont coordonnées à l’échelle internationale, entre États occidentaux et Israël, afin d’intimider et de criminaliser les mouvements de solidarité avec la Palestine et, finalement, d’affaiblir la résistance palestinienne. Comme souvent, la Palestine se trouve à l’avant-garde des luttes, et sa répression est un modèle qui, si l’on n’y prend garde, affectera l’ensemble du mouvement social, en s’attaquant aux droits civils et à la liberté d’expression. Pour cette raison aussi, une solidarité sans faille demeure indispensable.