Fred Fortin n’est pas riche ni célèbre. Ses chansons ne tournent pas à la radio. Il n’habite pas Montréal et il ne passe pas son temps à faire de la promotion. Il n’essaie de plaire à personne, sinon à lui-même. Loin de considérer ces « ne pas » comme des contraintes, l’artiste s’en accommode fort bien : « En général, je me retrouve entouré de personnes avec qui je peux jaser et prendre le temps de connaître. Pas de gens qui sont avec toi juste parce que tu es une vedette. »
Se rapprocher de l’émotion
Fortin aime le monde. Le vrai. Il en a donné la preuve avec son dernier album, Le plancher des vaches : des chansons enregistrées sur son balcon face à la rivière - qu’on entend en arrière-plan - ou dans sa cuisine avec des amis musiciens de passage. « Je voulais contrer le manque de technique avec un côté documentaire qui rapprocherait de l’émotion. »
Le musicien n’est pas un bourreau de travail. Il n’a jamais pu côtoyer la discipline et l’assiduité : « Je peux facilement laisser l’écriture de côté pendant des mois, lance-t-il. De toute façon, bien souvent, la chanson se fait d’elle-même : telle note commande tel accord, qui entraîne vers tel rythme, qui fait que tu vas dire tel mot. C’est instinctif. »
Le simple fait de carburer à l’intuition lui fait dire qu’il n’est pas un auteur à textes. Sent-il le besoin de faire passer un message ? « Oui, mais pas tout le temps ni dans toutes les chansons. Dans un sens, toutes les compositions sont les mêmes. Tu n’écris qu’une chanson dans ta vie. »
À la plume comme à la scène, Fred Fortin joue souvent de dérision. Mais si cet outil a longtemps été utilisé pour dénoncer les travers de la société, il considère que cette forme de provocation n’est plus aussi efficace et déplore l’indifférence qui fait aujourd’hui profession de foi : « On dirait que le Québec est engourdi dans un confort matériel. Il y a de l’abus sur tout ! Mais je crois que, tranquillement, on se conscientise et on se ramasse dans une position où on se dit : "il faut allumer ". Malgré tout le phénomène de la mondialisation, c’est par les petites batailles qu’il faut commencer. »
Revendiquer le droit de jouer
Sa bataille à lui rejoint celle de plusieurs musiciens du milieu underground : s’affranchir des structures rigides de la Guilde des musiciens afin de pouvoir être travailleur autonome. Tout ces artistes travaillent à mettre sur pied leur propre regroupement : l’Association des musiciens amateurs du Québec (AMAQ). « Je veux pouvoir jouer gratuitement si ça me tente ! Et puis, je n’adhère pas du tout aux convictions de la direction [de la Guilde] qui dit que réussir à faire fermer les bars qui ne paient pas les musiciens selon la convention [147 dollars pour un minimum de quatre heures] constitue une victoire. Ce n’est pas mon idée de la culture ! »
S’il semble avoir fait de la liberté sa seule doctrine, Fred Fortin est loin d’être un gars serein. Tout l’énerve : « La job que je fais, le milieu, le vide du vedettariat, la question de crédibilité avec les médias. Ça n’a rien à voir avec la mission première de la musique qui est de rassembler. »
Le rocker ne se considère donc pas comme un artiste engagé, mais plutôt comme un rassembleur. « Quand tu fais de la musique, tu ramasses le monde et tu les mets sur un même "vibe", explique-t-il. Alors, tant qu’on est capable de vibrer ensemble, sans nécessairement parler de ce qui va mal, et qu’on développe la sensibilité humaine, pour moi, c’est un point de départ. Puis, à partir de là, des gens plus lucides que moi sur des questions politiques peuvent poursuivre la bataille. »
Francouvertes
C’est un peu pour toutes ces raisons que Fred Fortin a accepté cette année d’être le porte-parole des Francouvertes, concours pour jeunes musiciens en herbe de la scène alternative. « Ça rejoint ce que je revendique envers la Guilde, c’est-à-dire le droit de jouer pour le plaisir, mais aussi l’importance de pouvoir voir et entendre les musiciens de la relève. »
Annie Richer, stagiaire du programme Médias alternatifs d’Alternatives