« Break the Meter - Enjoy Free Water » 

lundi 28 avril 2003, par François L’ÉCUYER

Photo : Indymedia South Africa

Quand la compagnie Johannesburg Water a commencé à installer ses compteurs prépayés dans une petite communauté sud-africaine, à quelques jours du Sommet mondial pour le développement durable (SMDD) en septembre 2002, les résidents ont alors goûté à une certaine conception du « développement » : privatisation des services essentiels, politiques de recouvrement des coûts, hausses des tarifs… Pour le 1,5 million de citoyens d’Orange Farm, bidonville situé à 50 km au sud de Johannesburg où le taux de chômage frise les 80 %, ces politiques se traduisent par des coupures de services et des évictions. Une dure réalité pour un nombre grandissant de citoyens de la « nouvelle » Afrique du Sud.

Suivant les lignes prescrites par GEAR - Growth, Employment and Redistribution, le programme d’ajustement structurel imposé par Thabo Mbeki en 1996 - le Conseil métropolitain de Johannesburg a entrepris sa propre restructuration. Le recours à la sous-traitance a laissé 8 000 travailleurs municipaux sans emploi. En janvier 2001, une nouvelle compagnie, Johannesburg Water, était créée par la ville. Un mois plus tard, un contrat de cinq ans était octroyé à une filiale de la compagnie française Suez-Lyonnaise des Eaux. Le géant mondial de l’eau devenait responsable de l’approvisionnement, la gestion et la facturation pour le grand Johannesburg.

En août 2002, le système de compteurs prépayés était encore dans sa phase pilote dans une seule section d’Orange Farm. Mais la population n’a pas attendu que le système soit étendu à l’ensemble des quartiers pour s’organiser. Les militants locaux ont mis sur pied l’Orange Farm Water Crisis Committee (OWCC) afin de mobiliser les gens de leur communauté. Rencontres publiques, manifestations et messes à l’église ont été organisées afin d’expliquer à la population la réalité des compteurs prépayés. Et il y a eu des graffitis. Beaucoup de graffitis.

« Nous avons dû lutter contre la désinformation ! » explique Bricks Mokolo, un membre du OWCC. « Notre conseiller municipal et sa clique faisaient croire aux gens que l’eau serait "prépayée", donc déjà payée par le gouvernement ! Quand les techniciens de la Johannesburg Water sont venus installer les compteurs, ils ont aussi menti à la population, leur disant qu’ils venaient installer les égouts ! » La réalité ? Les citoyens doivent payer leur eau à l’avance, un peu comme on achète une carte d’appel. Lorsque les unités sont terminées, l’eau ne coule plus.
L’introduction, à l’été 2000, de compteurs prépayés dans la province du KwaZulu-Natal a eu des conséquences meurtrières. Incapables de payer des unités d’eau hors de prix, les citoyens n’ont eu d’autre recours que de s’approvisionner dans les rivières environnantes. Une épidémie de choléra s’est répandue, emportant avec elle 300 personnes, en laissant plus de 120 000 autres infectées.

Depuis 1994, plus de 10 millions de personnes ont connu des coupures d’eau à la suite des politiques de privatisation. Dans certaines municipalités, la hausse des coûts de l’eau a dépassé les 500 %.

Quand les militants du OWCC ont appris que le ministre de l’Eau devait venir implanter le programme de compteurs à Orange Farm, ils ont profiter de l’occasion pour mobiliser et informer la population. Quelques jours avant la venue du ministre, plus de 3 000 personnes se rassemblaient pour dénoncer le projet. Le message était clair : « Break the Meter - Enjoy Free Water », comme disent les graffitis d’Orange Farm. Le lancement officiel du ministre fut annulé - sans que le programme ne soit rejetté pour autant.


François L’Écuyer, journal Alternatives

L’auteur est chargé de projet pour l’Afrique à Alternatives, et revient d’un séjour en Afrique du Sud.

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