Au début d’octobre, étudiants et professeurs de l’Université de Niamey ont pris la rue pour manifester leur désaccord envers la restructuration de leur établissement. L’ultimatum qu’ils avaient lancé au gouvernement, à la suite de sa décision de ne verser que le tiers du budget annuel de l’université, venait de prendre fin. En voulant bloquer le pont traversant le fleuve Niger, ils ont été sévèrement réprimés par les forces policières. Coups de feu, arrestations ciblées, voitures en feu, le Niger n’avait pas connu de révolte aussi agitée depuis la fin du régime militaire en 1999.
« Les étudiants en ont ras-le-bol, explique Moussa Tchangari, directeur du journal Espaces Citoyens et du groupe Alternative au Niger. Nous assistons au démantèlement complet de notre système d’éducation. » Le paiement des bourses, qui ont été réduites de moitié, accuse un retard de 30 mois. Depuis sa privatisation, le service de restauration de l’université ne prépare plus que 1 000 plats par jour pour les 6 000 étudiants. Les autobus ne fonctionnent plus depuis des mois.
À la suite des compressions, le versement des salaires des professeurs a aussi été suspendu. « L’université nous a simplement dit qu’à cause des réductions budgétaires, nous ne serons plus payés », s’étonne Souley Adji, professeur au département de sociologie. « La faculté de pédagogie a même été fermée, afin de réduire les coûts de la formation donnée aux enseignants du primaire et du secondaire. »
Vingt ans de réforme
Ce chambardement en profondeur ne s’applique pas seulement au niveau universitaire, mais à l’ensemble du secteur de l’éducation. La restructuration de l’éducation avait été imposée par la Banque mondiale (BM) lors de la mise en place du premier plan d’ajustement structurel au Niger, en 1983. Elle en est aujourd’hui à sa quatrième phase, connue sous le nom de Programme décennal de développement de l’éducation (PDDE). Pour être aussi admissible au programme d’allègement de la dette de la BM, le Niger doit continuer à respecter ces mêmes conditions néolibérales, qui impliquent la réduction des dépenses publiques.
Depuis 1998, le gouvernement nigérien s’est ainsi débarrassé de 60 % de son corps professoral, en abaissant l’âge de la retraite à 50 ans. La loi est encore aujourd’hui contestée par les syndicats nationaux. « Comment les fonctionnaires réussiront-ils à survivre sans salaires dès l’âge de cinquante ans alors que les pensions de retraite ne sont jamais payées ? », demande Ouban Dooma, représentant du syndicat des enseignants.
La mise à la retraite anticipée de 90 % des enseignants, d’ici 2010, a déjà commencé. Une mesure qui permet au gouvernement nigérien de réduire les salaires de 70 %. Les enseignants sont remplacés par des « volontaires de l’éducation » : des jeunes n’ayant aucune formation ni expérience en enseignement, ce qui explique la fermeture de la faculté de pédagogie. Au lieu de recevoir les 3 00 dollars US par année correspondant au salaire des professeurs du niveau primaire, les nouveaux volontaires de l’éducation ne toucheront que 90 dollars US. Et au cas où la qualité de l’enseignement en souffrirait, le gouvernement a aussi congédié trois inspecteurs d’écoles sur quatre.
« Non seulement nous gagnons trois fois moins que les enseignants, mais le gouvernement nous propose une entente où nous n’aurons pas le droit à la syndicalisation ni aux trois mois de salaires durant les vacances d’été ! », s’exclame Idi Abdou, président de l’Union des volontaires de l’éducation du secondaire (UNAVES). « Nous sommes donc en grève depuis le début de l’année scolaire. Nous refusons de signer cette nouvelle entente. »
Le Niger, qui figure au dernier rang de l’indice de développement humain, n’est pas le seul pays africain aux prises avec une telle éforme. Des programmes semblables au PDDE sont mis sur pied un peu partout sur le continent. Et il n’y a pas que la Banque mondiale qui est impliquée : « Plusieurs pays occidentaux financent, sous forme de prêts, la déconstruction de nos programmes publics. Et à travers ces prêts, nous continuons de nous endetter afin de saborder notre propre secteur de l’éducation », déplore Moussa Tchangari, lui-même victime des arrestations ciblées.
François L’Écuyer