Dakar, grande capitale d’Afrique de l’ouest, est une jungle doublée d’un gros village. Une faune compacte et bigarrée cohabite, à la rencontre de deux mondes. Paradoxe exacerbé par l’exode rural : 45 % de la population vivant maintenant en milieu urbain. Boubous traditionnels et Nike, mendiants et Mercedes, porteuses d’eau et hommes d’affaires, étudiants et enfants sortant de l’école coranique évoluent au son des coups de klaxons criards et incessants des taxis, des salutations ad nauseam, ponctués régulièrement d’appels à la prière.
La tolérance religieuse n’est pas un mythe. Les catholiques vont à la Tabaski, tout comme les musulmans fêtent Noël. L’important au Sénégal est de croire, point. Dans cette ville à l’haleine putride et aux trottoirs jonchés de déchets, ce n’est pas la religion qui discrimine. Non, le racisme est plutôt couleur peau. Sénégalais, Libanais et Européens se tolèrent, business et interdépendance obligent. Tout se marchande ici, et on ne fait pas de cadeaux. Ce qui ne choque plus personne, sinon les « toubabs » (touristes blancs) naïfs dans mon genre. Visiblement, tout s’achète dans ce dollarama à ciel ouvert.
Ici, on fantasme l’occident et le mode de vie européen, mais n’en résulte qu’un tiers-monde chic aux allures civilisées. Une société à deux vitesses où l’écart se creuse de plus en plus. Le président Abdoulaye Wade, de passage en Suisse, a prononcé, hier, une allocution visant à encourager l’implantation des technologies numériques en Afrique. Pendant ce temps, le Sénégal croupit au 155e rang en terme d’indice de développement selon le rapport annuel des Nations unies. Chouchou des pays industrialisés et favorisé par le NEPAD (l’acronyme anglais du nouveau plan de développement pour l’Afrique), avec son système de gouvernement somme toute démocratique, sa relative liberté de presse et ses tendances pacifistes en dépit du conflit en Casamance, la France y dépense deux fois plus qu’en Côte-d’Ivoire. Pourtant, jamais le travail et l’exploitation des enfants n’ont été si visibles, l’économie aussi fragile et les emplois dignes de ce nom, permettant d’améliorer son sort, si rares. Quant aux politiques sociales, elles sont quasi-inexistantes et les ONG d’ici et d’ailleurs ne suffisent guère à la demande.
Heureusement, il y a la mer et sa horde de touristes en bermudas. À 150 kilomètres au sud de Dakar, dans l’agglomération de Palemarin, village de pêcheurs reculé et sans électricité, un important consortium doit entamer dès le mois prochain la construction d’un hôtel cinq étoiles... Électricité et emplois sont à prévoir, certes, mais à quel prix ? Cela aura certainement un impact non seulement sur le paysage, mais aussi sur le mode de vie, les traditions, les valeurs…
Bref, la vie dans ce pays ressemble au cérémonial du thé. « Amer comme la mort, doux comme la vie, sucré comme l’amour », dit-on ici. Tout dépend de qui on est et de combien on gagne. Et les Sénégalais boivent leurs contradictions jusqu’à la lie dans cette ville fascinante et insaisissable. Le jour décline et le ciel tourne au mauve pollution. Dakar est maintenant en contre-jour, suspendue entre deux civilisations et pas nécessairement au bout de sa nuit.
Sophie Goyette, stagiaire du programme Médias alternatifs d’Alternatives, présentement à Dakar, au Sénégal.