C’est à Port Radium, une ville minière
aujourd’hui désaffectée, située sur
la rive est du grand lac de l’Ours dans
les T.N.-O., qu’a été extrait l’uranium
qui a servi à atomiser les Japonais.
La majorité de la main d’oeuvre de
la mine réquisitionnée par le gouvernement
fédéral pour supporter
l’effort de guerre était composée de
travailleurs dénés, la plupart issus
de la petite communauté de Déline
(Fort Franklin), dans le Sahtu. Pour
un salaire de trois dollars par jour,
les autochtones manipulaient le minerai
radioactif sans aucune protection
adéquate. Dans les années 1960,
une mystérieuse épidémie de cancer
a emporté 14 d’entre-eux.
L’uranium était acheminé dans des
poches de jute jusqu’à Tulita (Fort
Norman), où on les embarquait sur
des barges en direction de l’Alberta
puis de l’Ontario avant de terminer
leur périple dans les laboratoires secrets
de l’armée américaine. À chaque
voyage, des quantités indéterminées
de minerai d’uranium s’échappaient
dans les eaux du plus grand lac du
Canada et de son confl uent. On estime
aujourd’hui à 1,7 million de tonnes
la quantité de déchets radioactifs
laissée dans la région du Sahtu par la
vieille mine de Port Radium.
En 2002, le ministère des Affaires indiennes
et du Nord, en collaboration
avec le Conseil de bande de Déline,
a dévoilé un plan d’action pour évaluer
et recommander des solutions
aux risques causés par les vestiges de
Port Radium sur la santé des Dénés
et de l’environnement. Les résultats
de cette enquête étaient attendus en
mars 2005. Ils le sont encore.
Dépôts temporaires
Au cours d’une étude réalisée entre
1991 et 1993, dans le Sahtu, quelque
47 000 mètres cubes de sols contaminés
à l’uranium ont été identifi és
le long de la route empruntée par
les convois radioactifs. De ceux-ci,
11 000 mètres cubes ont été colligés
et stockés dans des « dépôts temporaires
», car ils se trouvaient trop
près des résidences.
À Tulita, un de ces dépôts à été installé
non loin de l’aéroport. Selon la
description qu’en a fait le député du
Sahtu, Norman Yakeleya, le dépôt
est constitué d’un « gros tas de roches
surmonté d’une bâche de nylon ».
Alors que ces installations devaient
être temporaires, plus de dix ans plus
tard, rien n’a changé. Selon Yakeleya,
c’est « l’horripilante bureaucratie fédérale
» qui cause ce délai.
Au moment où le dépôt à été mis en
place, la gestion de ces déchets relevait
du Bureau de gestion des déchets
radioactifs de faible activité, une
agence du ministère des Ressources
naturelles. Depuis, la législation a été
modifi ée et, techniquement, la responsabilité
de ce dossier incombe désormais
à la Commission canadienne
sur la sécurité nucléaire. Or, étant
donné que l’établissement du site est
antérieur à la nouvelle loi, cette dernière
agence estime que ce n’est pas
de son ressort. Le débat perdure.
Par ailleurs, la récente Loi sur la sécurité
et le contrôle nucléaire prévoit
qu’il faut détenir un permis pour
entreposer des déchets radioactifs.
Aucun permis n’a été émis à Tulita,
donc, en dépit des faits, le dépôt de
Tulita ne peut légalement pas contenir
de déchets radioactifs. « J’espère
que quelqu’un va avertir le dépôt », a
alors ironisé Norman Yakeleya à l’Assemblé
législative.
Gestion des déchets
L’an dernier le Canada a mis sur pied
la Société de gestion des déchets nucléaires
(SGDN), une agence entièrement
formée de représentants de
l’industrie canadienne de l’énergie
atomique. Selon son site Internet,
la SGDN a pour mission de « recommander
une solution à long terme pour
la gestion du combustible nucléaire irradié
produit par les producteurs d’électricité
canadiens ».
La solution que propose l’industrie
sera présentée cet automne à Ottawa.
Tout porte à croire que leur proposition
sera de construire un site unique
d’enfouissement contrôlé qui sera,
vraisemblablement, foré quelque
part dans le Bouclier canadien.
Pour choisir cette solution, la SGDN
a tenu une série de rencontres dans
différentes villes canadiennes. Aux
T.N.-O., la SGDN n’a visité que
Yellowknife, où nous étions cinq
personnes à assister à leurs travaux.
Après qu’on leur ait raconté la triste
expérience du Sahtu en matière de déchets
nucléaires, les représentants de
la SGDN ont expliqué qu’ils ne s’intéressaient
qu’aux déchets produits par
les centrales électriques ; pas à ceux
des vieilles mines désaffectées.
L’Assemblée des Premières nations,
l’organisme qui représente l’ensemble
des conseils de bande du Canada, suit
de près les travaux de la SGDN. Les
Premières nations ont même formé
une agence expressément dédiée à cette
fonction. Sous le nom pittoresque de
« Dialogue sur les déchets radioactifs ».
Mais apparemment, l’organisme
autochtone n’est pas davantage sensibilisé
au dossier de Port Radium que
la SGDN. Sa coordonnatrice, Dawn
Pratt, affi rme qu’elle connaît la tragédie
qui affecte les Dénés du Sahtu,
mais que ce n’est pas une préoccupation
de son organisme. « Quand
nous allons dans les communautés pour
recueillir des opinions et pour distribuer
de l’information, nous évoquons parfois
l’histoire des Dénés du Sahtu, dit-elle.
Mais ça ne va pas plus loin que ça. »
Mauvaise mine
Il se pourrait que Port Radium ne
soit pas la dernière source de déchets
radioactifs aux T.N.-O. Les compagnies
MAX Resources et Alberta Star
ont récemment fait l’acquisition des
droits miniers de 26 000 hectares de
terre dans la région du lac MacInnis,
située à 150 kilomètres au Nord-Est
de Fort Smith. Le potentiel uranifère
de ce site a été identifi é pour la première
fois en 1954. Des travaux de
sondage sismique ont eu lieu cet été.
Selon le site Internet d’Alberta Star,
le site présente « une vaste surface riche
en uranium de haute qualité ».
Il serait cependant surprenant que
cet uranium-là serve à construire
des bombes atomiques. Depuis 1976,
c’est-à-dire 16 ans après avoir fermé
Port Radium, le Canada, premier
producteur d’uranium au monde, ne
vend plus de minerai radioactif à l’armée
américaine.