Au pays de la loi et de l’ordre

jeudi 25 septembre 2008, par Jennifer Cartwright

Même si le taux de criminalité au Canada a atteint l’an dernier son plus bas niveau en plus de 30 ans, la loi et l’ordre demeurent l’une des priorités de partis politiques comme ceux de Stephen Harper et de Stéphane Dion. Voici un portrait des initiatives des dernières années qui visent davantage la répression que la prévention.

Depuis leur arrivée au pouvoir en 2006, les conservateurs ont été très actifs au plan de la justice pénale, utilisant la notion de sécurité comme leitmotiv pour orchestrer leurs campagnes. Les exemples sont nombreux. Des 120 millions de dollars investis pour éliminer les drogues dans les pénitenciers, pas un sou n’ira à la prévention, pas plus que le programme ne s’interroge sur les causes de la toxicomanie. Récemment, le ministre de la Sécurité publique, Stockwell Day, a annoncé la mise sur pied d’un projet pilote de surveillance électronique : les contrevenants y participant devront porter un bracelet doté d’un récepteur GPS signalant leur position à un réseau de surveillance. La nouvelle Loi sur la lutte contre les crimes violents fait notamment augmenter certaines peines minimales, crée de nouvelles infractions, prévoit des dispositions plus sévères sur la mise en liberté sous caution et augmente l’âge du consentement à des activités sexuelles à 16 ans. Dans le cas de crimes graves, un accusé de 14 ans est cependant considéré assez mûr pour être jugé devant un tribunal pour adultes ! L’imposition de peines minimales est jugée inefficace (et extrêmement onéreuse) par de très nombreux avocats, juges, professeurs de droit et criminologues.

Malgré les demandes du secteur de la santé, le gouvernement refuse d’instaurer des programmes d’échange de seringues en détention sous prétexte qu’il n’appuie pas « l’utilisation de drogues illégales ou ne facilite pas [leur] utilisation au sein du système carcéral » et que les détenus, comme tous les Canadiens, sont responsables de leur santé. Pourtant, des pays comme la Biélorussie, l’Iran et l’Espagne ont instauré ce genre de programme, faisant ainsi la preuve de l’efficacité de telles mesures dans la propagation du VIH et de l’hépatite C. Pendant ce temps, les conservateurs ont aboli un programme de tatouage sécuritaire dans les pénitenciers - avant la réalisation de l’évaluation finale – qui permettait de réduire considérablement les risques liés à cette pratique très courante en détention (un détenu sur deux s’est fait tatouer en 2004 selon le Réseau juridique canadien VIH/sida). Le gouvernement Harper juge que les contribuables n’avaient pas à payer les tatouages des personnes incarcérées, même s’il en coûte davantage à l’État pour traiter des détenus infectés.

Les conservateurs ont aussi voté contre une motion réaffirmant l’opposition du Canada à la peine de mort, et décrété que les contrevenants incarcérés à l’extérieur du pays seraient désormais rapatriés au « cas par cas » : d’après le ministère de la Sécurité publique, « rapatrier des criminels enverrait le mauvais message aux Canadiens ».

Alors que pour la troisième année consécutive le nombre de crimes enregistré au pays a diminué, tant les médias que les politiciens s’acharnent à faire croire que la criminalité est un problème grave au Canada : il en découle que, selon une étude de l’Université de Lethbridge, un Canadien sur trois pense aujourd’hui que le crime est un problème « très sérieux ».

Plus de prisons, plus de sécurité ?

Au Canada comme au Québec, l’argent alloué aux services correctionnels est principalement investi dans les infrastructures, souvent au détriment de la réinsertion sociale. C’est d’autant plus vrai depuis le dépôt du rapport d’un comité d’examen « indépendant » chargé d’aiguiller le processus de transformation du Service correctionnel du Canada en cours : la construction de complexes régionaux et la sécurité statique accaparent les fonds. En outre, la construction d’établissements de détention est souvent présentée par les élus locaux comme un excellent moyen de stimuler l’économie par la création d’emplois (qui oublient toutefois les 241 $ quotidiens que coûte un détenu fédéral à l’État).

Le rapport suggère aussi l’abolition de la libération d’office, ce qui risque de faire en sorte que plusieurs détenus demeureront incarcérés jusqu’à la fin de leur peine, pour ensuite être libérés sans condition ni surveillance. En plus de représenter une menace pour la sécurité publique, cette mesure pourrait contribuer à une augmentation considérable de la population carcérale ainsi que des coûts, déjà élevés, de l’incarcération. Et s’il y a bien des programmes favorisant la réinsertion sociale, la plupart ont été conçus pour des individus purgeant de longues sentences. Les peines fédérales ayant tendance à diminuer, l’accessibilité à ces programmes est de plus en plus difficile.

Partout au pays, le nombre d’incarcérations augmente, les libérations conditionnelles se raréfient - malgré que l’importance de la libération progressive ait été mainte fois démontrée - et les ressources communautaires sont sous-utilisées. Par ailleurs, nombreux sont les individus souffrant de problèmes de santé mentale (10 % de la population carcérale en 2007) ou de toxicomanie qui, faute d’alternatives, sont incarcérés, ce qui ne fait qu’accentuer leur exclusion.

En ce moment, les États-Unis - qui ont le plus haut taux d’incarcération au monde - réalisent que le coût économique et social de l’incarcération massive et des peines minimales est astronomique, que de telles mesures sont inefficaces, contre-productives et qu’elles ne réduisent pas la récidive. Résultat, de plus en plus d’États changent leurs pratiques.
Pendant ce temps, la justice pénale canadienne s’engage dans la voie choisie par les États-Uniens il y a 20 ans - celle-là même qui les a menés à l’impasse.


L’auteure est agente aux programmes et aux communications à l’Association des services de réhabilitation sociale du Québec.

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