Long de 1 300 kilomètres et avec un coût estimé à sept milliards de dollars, le gazoduc du MacKenzie dans les Territoires du Nord-Ouest promet d’être le chantier canadien le plus colossal de la décennie. Si tout se déroule comme prévu, sa construction débutera en 2006 et il sera opérationnel en 2010. Ce sont les pétrolières Shell, ConocoPhillips et ExxonMobil, ainsi que le Aboriginal Pipeline Group qui en sont les promoteurs.
Le gazoduc doit transporter jusqu’au nord de l’Alberta le gaz naturel des gisements du delta du fleuve MacKenzie. Paul Martin a récemment fait un saut de puce dans les Territoires, le 13 août. Le premier ministre du Canada et celui des Territoires du Nord-Ouest, Joe Handley, ont discuté de leurs préoccupations respectives relativement au projet du gazoduc. Joe Handley a entre autres fait savoir que son gouvernement entendait retirer quelques bénéfices de ce projet. Selon la loi constitutive des territoires, Yellowknife n’a pas juridiction sur « le territoire et les ressources » et seul le gouvernement fédéral pourrait percevoir les futures royalties du gazoduc. Au terme de la rencontre, Handley s’est cependant dit ravi. Paul Martin ayant promis « une entente juste pour tout le monde ».
Kyoto
Selon le Sierra Club du Canada, les gouvernements doivent d’abord répondre à un certain nombre de questions. Entre autres, l’organisation demande « comment le Canada pourra atteindre les objectifs du protocole de Kyoto étant donné que le gaz du MacKenzie servira a l’extraction du pétrole contenu dans les sables bitumineux de l’Alberta ? » Un sujet que n’ont pas abordé les deux premiers ministres.
Pourtant, cette question en chicote plus d’un. Les sables bitumineux de l’Alberta ont la mauvaise réputation d’être deux fois et demi plus nocifs pour l’atmosphère que le pétrole conventionnel. Et tout porte à croire que c’est pour en faciliter l’extraction que l’on construit le gazoduc du MacKenzie. « Il n’y a absolument aucun doute : une bonne partie, sinon la totalité, du gaz naturel transporté par le gazoduc du MacKenzie est destinée à être utilisée par l’industrie des sables bitumineux », affirme Stephen Hazell du Sierra Club du Canada.
Les promoteurs du gazoduc du MacKenzie ne cachent pas leur intérêt mercantile vis-à-vis de l’industrie des sables bitumineux. Dans un document sobrement intitulé Trousse d’information préliminaire qu’ils ont produit conjointement, on peut lire que : « Dans l’Ouest canadien, le développement de l’industrie du pétrole lourd et des sables bitumineux [...] devrait représenter entre 40 et 45 % du marché pour le gaz naturel. » Un porte-parole d’Imperial Oil, Pius Rolheiser, a également admis « qu’il est raisonnable de penser qu’une partie du gaz puisse être utilisée pour l’extraction des sables bitumineux de l’Alberta ».
Beaucoup d’énergie
Pour extraire le pétrole des sables bitumineux, il faut de grandes quantités d’énergie - du gaz naturel en particulier. Les installations de Suncor à Fort McMurray, où l’on sépare le pétrole des sables bitumineux albertains, sont présentement dans une phase d’agrandissement qui devrait être complétée vers 2010. Selon Stephen Hazell, lorsque les travaux seront terminés, le complexe pétrochimique consommera quotidiennement près d’un milliard de pieds cube de gaz naturel. Quand la phase d’expansion des installations de Fort McMurray sera complétée, il est prévu que les émissions annuelles de gaz carbonique du complexe s’élèveront à 70 millions de tonnes. L’équivalent de 31 centrales thermiques du Suroît. Le gouvernement canadien qui avait endossé les engagements de Kyoto risque de se trouver en contradiction avec lui-même.
Le delta du MacKenzie est une des régions les plus durement affectées par les changements climatiques au Canada. La fonte du pergélisol donne des maux de tête aux ingénieurs qui comptaient sur un sol stable pour mettre en place leur pipeline. Mais les gisements de gaz et les méga projets qui sont présentement sur la table pourraient changer le paysage, l’économie et même la société des Territoires du Nord-Ouest. Une féroce compétition presse les gouvernements de s’engager dans une course infernale, sans ouvrir de débat fondamental. « Dans le marché mondial du gaz naturel, expliquait récemment le ministre des Ressources, de la Faune et du Développement économique des Territoires, Brendan Bell, nous sommes en compétition globale pour le capital ». À qui servent ces projets ?
Batiste W. Foisy
L’auteur est aussi journaliste à
L’Aquilon de Yellowknife