Le premier ministre du Canada Stephen Harper entretient des rapports étroits avec le gouvernement israélien et, de fait, se détache de la cause palestinienne. Cette attitude est contraire à la réputation de médiateur qu’avait le gouvernement canadien auparavant. Celui-ci agit désormais comme étant le meilleur ami d’Israël.
Le gouvernement conservateur a démontré son désintérêt envers la cause palestinienne de multiples façons au cours des dernières années. Tout récemment, la mission Bienvenue Palestine, qui avait pour but l’entrée symbolique dans le territoire palestinien et la construction d’une école, a été réprimée. Le 15 avril dernier et dans les jours qui ont suivi, le gouvernement israélien a bloqué les quelque 1500 délégués dont une vingtaine de Québécois et Québécoises, dans différents aéroports européens et celui de la capitale israélienne Tel-Aviv. D’autres délégués ont été déportés et emprisonnés.
Le gouvernement canadien n’a pas condamné ces actions israéliennes et n’a pas non plus défendu la mission pacifique. La jeune Québécoise de 19 ans Charlotte Gaudreau-Majeau, qui faisait partie de la délégation, a été emprisonnée. Elle a cependant pu voir un membre de l’équipe du consulat canadien qui s’est assuré qu’elle n’avait pas été brutalisée. « En dehors de ça, il n’était pas question de l’aider pour le voyage, de l’aider à convaincre le gouvernement israélien de la relâcher et de lui permettre d’aller réaliser le projet », mentionne Stéphane Corriveau, coordonnateur de Bienvenue Palestine au Québec impliqué dans la solidarité avec le peuple palestinien depuis environ 25 ans.
Ce désintéressement envers la cause palestinienne fut également palpable lors de la fermeture de l’organisme Droits et Démocratie le 3 avril dernier. Depuis mars 2008, l’organisme vivait des tensions avec le gouvernement fédéral, notamment en raison de la nomination d’Aurel Braun comme président du conseil d’administration. Celui-ci appuyait fermement les politiques israéliennes à l’endroit des Palestiniens et plusieurs ont vu l’influence conservatrice dans les rapports entretenus à l’étranger. Évidemment, cette fermeture a été liée en bonne partie à la position canadienne dans le conflit israélo-palestinien.
Contradictions dans la position canadienne
Les pays occidentaux se montrent discrets quant au conflit israélo-palestinien en dépit des preuves notoires de la violation des droits humains en Palestine. « Pour le Canada, c’est maintenant la sécurité d’Israël le plus important », note Houchang Hassan-Yari, professeur des relations internationales au Collège militaire royal du Canada et spécialiste du Moyen-Orient. « Si vous regardez sur le site des Affaires étrangères, il y a toujours des répliques de la politique traditionnelle du Canada c’est-à-dire le respect des droits palestiniens, etc. Mais dans la pratique on voit clairement que le Canada ne suit plus la politique traditionnelle », ajoute-t-il.
En effet, sur le site web des Affaires étrangères et Commerce international Canada, le premier paragraphe de la section Politique canadienne sur les aspects clé du conflit israélo-palestinien stipule que le Canada « soutient le droit d’Israël à vivre en paix avec ses voisins à l’intérieur de frontières sécuritaires et reconnaît son droit à assurer sa propre sécurité ». Quant au second paragraphe, il mentionne que « le Canada reconnaît le droit des Palestiniens à s’autodéterminer et appuie la création d’un État palestinien souverain, indépendant, viable, démocratique et doté d’un territoire d’un seul tenant, dans le cadre d’un règlement de paix global, juste et durable. » Ceci est contradictoire, car le Canada fait partie, avec les États-Unis, de la dizaine de pays ayant voté contre l’adhésion de l’Autorité palestinienne à l’UNESCO le 1er novembre 2011.
Le gouvernement canadien s’est engagé en 2007 à verser 300 millions de dollars sur cinq ans au peuple palestinien. Toutefois, Stéphane Corriveau mentionne que l’aide a considérablement diminué. Précédemment, le Canada était un des contributeurs importants de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA - United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near East en anglais).
« Quand Stephen Harper est arrivé, ça a été une des premières coupures que son gouvernement a faite. Il n’y a plus de sous disponibles pour les ONG qui essaient de faire des projets en
Palestine », s’indigne-t-il.
Relation tendancieuse
Certes, la relation entre le Canada et Israël a toujours été tendancieuse, mais jamais autant que maintenant. Selon M. Hassan Yari, la position du Canada est désormais « vraiment identifiable ». En 1948, le Canada a participé à la création d’Israël en étant signataire de la résolution 181 de l’ONU qui consistait en un plan de partage : la Palestine est divisée en deux États indépendants, l’un arabe, l’autre juif, et Jérusalem est placée sous administration des Nations unies. « Après cette période, le Canada était très pro-israélien jusqu’à la fin des années 1960 » explique M. Hassan-Yari. « Avec Trudeau, [ancien premier ministre canadien], il y eut un changement de regard sur la question des réfugiés, on parle de Palestiniens, et petit à petit on parle de Palestiniens avec des aspirations nationales. C’était devenu en quelque sorte la base de la politique canadienne qui se voulait une politique pondérée et juste », poursuit-il.
Dans les années 1980 lorsque Brian Mulroney était à la tête du gouvernement conservateur, il y a eu « un glissement un peu plus prononcé [...] envers les aspirations et la cause israélienne à l’époque. » Ensuite, le Canada a eu de nouveau un gouvernement libéral sous Jean Chrétien et ce dernier a essayé de garder une position neutre. Le glissement vers un nouveau Canada pro-israélien a été entamé sous le gouvernement de Paul Martin, puis est maintenant clair sous celui de Stephen Harper.
Les yeux fermés
Le gouvernement canadien actuel ne semble pas considérer avec autant d’importance la sécurité de la Palestine que celle d’Israël. Il semble oublier que plusieurs Palestiniens vivent dans des conditions très précaires. Par le blocus de Gaza, par le mur de soi-disant sécurité que M. Corriveau surnomme le « mur d’apartheid en Cisjordanie » et par les colonies de peuplement israéliennes illégales en Cisjordanie, les Palestiniens sont étouffés. « La destruction systématique des vergers et des champs des Palestiniens [et] la surexploitation de la nappe phréatique palestinienne pour alimenter les piscines des colons israéliens » sont aussi d’autres aberrations selon Stéphane Corriveau.
Qui plus est, une nouvelle recherche de la Coalition to Oppose the Arms Trade (COAT) révèle qu’en 2011, le Régime de pensions du Canada (RPC) avait environ 1,5 milliard de dollars en actions dans 66 grandes compagnies internationales qui approvisionnent Israël en produits et services liés au militaire, à la police, à la surveillance et à la prison. On apprend également que cinq autres importants fonds de pension canadiens ont investi 3 milliards de dollars additionnels dans ces 66 compagnies recherchées par la COAT. C’est donc dire que l’argent des contribuables canadiens est investi en partie pour financer l’armée israélienne et par le fait même, nuire à la cause palestinienne.
Dans le cas d’un conflit armé Israël-Iran
D’après Houchang Hassan-Yari, si Israël voulait entrer en conflit avec l’Iran, le Canada songerait à se mettre dans le camp d’Israël. « Mais de là à conclure que le Canada va participer à une guerre éventuelle contre l’Iran aux côtés d’Israël, c’est très difficile à dire », explique-t-il. Quant au coordinateur de Bienvenue Palestine, il n’a « aucun doute que si la situation devait dégénérer en conflit armé, le gouvernement Harper sauterait dans la mêlée à deux pieds et participerait aux côtés d’Israël. »
Les relations houleuses entre Israël et l’Iran laissent présager un possible conflit armé, voire nucléaire. « Ce qui est étonnant, c’est que le Canada et les États-Unis n’essaient pas de faire la même pression sur Israël qu’ils font sur l’Iran. Tandis que l’Iran n’en a pas apparemment [l’arme nucléaire], Israël en possède », soutient M. Hassan-Yari. Pour retrouver sa crédibilité, le gouvernement canadien a besoin de revenir à la légalité internationale, c’est-à-dire qu’il reconnaisse la Loi interdisant la colonisation des territoires occupés et qu’il reconnaisse la nécessité de créer un État palestinien.
« Pour le Canada, il ne s’agit pas d’abandonner Israël, mais de revenir un peu à la légalité internationale, précise M. Hassan-Yari. Même sous les libéraux, le Canada ne deviendra, à mon avis, jamais un État pro-palestinien, mais au moins il pourrait être plus juste. »