Alternance au Paraguay

jeudi 1er mai 2008, par Valérie Fournier L’Heureux

Victoire historique au Paraguay le 20 avril. L’opposition de gauche l’emporte et met fin au règne du parti Colorado de l’ancien dictateur Alfredo Stroessner. Autre matière à réjouissance : la formation de droite au pouvoir depuis 61 ans cède démocratiquement sa place.

Le Paraguay, deuxième pays le plus pauvre en Amérique du Sud après la Bolivie, est maintenant dirigé par Fernando Lugo. Cet évêque ayant défroqué en décembre 2006 pour se lancer en politique a réussi par son charisme à rassembler l’opposition et à convaincre les Paraguayens de mettre fin au dernier bastion de la droite au sein du marché commun régional, le Mercosur.
La victoire de celui qu’on surnomme « l’évêque des pauvres » donne espoir. Sortis de la dictature en 1989, les Paraguayens, pour la plupart des métis parlant l’espagnol et le guarani, ne bénéficient toujours pas des principaux avantages de la démocratie.

Malgré la crainte de fraudes massives, le scrutin s’est déroulé sans incident majeur. Confiants, les partisans de Lugo fêtaient déjà la victoire après la fermeture des bureaux de vote. « Nous vous demandons de ne pas nous laisser seuls, la démocratie nous la ferons ensemble ! », a lancé Lugo à la foule rassemblée au centre d’Asunción pour fêter l’événement. « C’était l’euphorie totale. On sent l’assurance généralisée que Lugo atteindra ses objectifs, qu’il ne nous décevra pas ! », s’exclame Elianne Chiriani, journaliste de la radio Viva.

L’élection présidentielle, qui ne comporte qu’un seul tour et se remporte à la majorité simple des suffrages, a connu un taux de participation impressionnant là-bas, avec 65 % des 2,8 millions d’électeurs paraguayens inscrits. Lugo l’a emporté avec 41 % des votes, 10 points de plus que sa principale rivale, Blanca Ovelar, première femme à briguer la présidence et qui se présentait sous la bannière du parti Colorado. L’ex-général Lino Oviedo, incarcéré pendant plusieurs années pour tentative de putsch, et libéré peu avant le début officiel de la campagne électorale, a pour sa part terminé troisième. Fernando Lugo rentrera en fonction le 15 août prochain.

Lugo, l’incarnation du changement

Fernando Lugo s’est fait connaître au départ pour son engagement auprès des paysans sans terre. Son arrivée sur la scène politique a sonné la fin du cynisme et de l’apathie pour bon nombre de Paraguayens. « J’ai voté pour Lugo parce que ce pays a besoin de changement, peu importe lequel », dit l’agronome Derlis Torales. « Ma femme et moi n’avions pas voté depuis plus de vingt ans, car nous ne croyions pas aux options qui nous étaient présentées. Cette fois-ci, je me présente derrière Lugo, car je crois en lui », ajoute Dionisio Baez, coordonnateur communautaire au département de Caaguazu, situé au centre du pays. « Nous allons enfin sortir du cercle vicieux de l’autoritarisme dans lequel nous avons vécu quasi sans discontinuité depuis notre accession à l’indépendance, en 1811. »

À la tête de l’Alliance patriotique pour le changement (APC), une coalition éclectique rassemblant le principal parti d’opposition, le Parti libéral radical authentique (PLRA), et une vingtaine d’associations du monde paysan, indigène et syndical, Fernando Lugo a fait campagne autour des thèmes du nationalisme économique, de la lutte contre la corruption et de la réforme agraire. Sera-t-il en mesure de réaliser ses promesses ? Les Paraguayens ont de fortes attentes à son égard.

De grands défis à relever

Le premier défi de Fernando Lugo sera de prouver sa capacité de manoeuvrer et de gouverner au sein même des partis de sa coalition, extrêmement hétérogènes quant à leurs intérêts. En plus, le nouveau président n’a pas obtenu la majorité au Congrès. Il devra donc négocier avec l’opposition pour faire adopter ses projets de loi, une tâche qui s’annonce ardue. Il faudra aussi nettoyer et dépolitiser l’appareil judiciaire, qui est à la solde du parti Colorado.

Entaché par la corruption, le parti Colorado, considéré comme le pilier jumeau de l’armée sous la dictature, quitte avec un bien triste bilan, tant sur le plan économique que social. Le niveau de vie des Paraguayens est plus bas que ce qu’il était en 1989 et l’exode des jeunes vers l’Argentine, l’Espagne et les États-Unis semble sans issue. De plus, sur le plan environnemental, ce parti a favorisé la monoculture intensive du soja transgénique, très nocive pour l’environnement et menant à la perte de la souveraineté alimentaire.
Le règlement de la réforme agraire, centrale dans ce pays où 80 % des terres se retrouvent entre les mains de 2 % de la population, ne sera pas aisé non plus. Les propriétaires terriens ne se laisseront pas dépouiller de leurs biens facilement. Et Lugo ne peut décevoir ses premiers partisans, les 300 000 paysans sans terre du pays.

Enfin, Fernando Lugo a insisté pendant sa campagne sur sa volonté de renégocier le traité d’Itaipu pour obtenir plus d’argent du Brésil. Signé en 1973 lorsque ces deux pays étaient dirigés par des dictatures militaires, ce traité venant à échéance en 2023 mentionne que le Paraguay a l’obligation de vendre au Brésil au prix de revient sa part d’hydroélectricité inutilisée.
« Aucun autre État de la région n’accepte de vendre ses ressources au coût de production », de dire Fernando Lugo. Au départ, le président brésilien Lula da Silva n’était pas particulièrement favorable à une révision du traité, mais la menace de Lugo d’amener le dossier devant les tribunaux internationaux semble l’avoir fait changer d’avis. Ce dossier est prioritaire pour le nouveau président du Paraguay, puisque la vente de cette électricité au prix courant va générer des rentrées de près d’un milliard de dollars de plus par année dans les coffres de l’État, et ainsi lui permettre de répondre aux défis que doit surmonter son pays.

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