Agrobusiness au Paraguay : quelles alternatives possibles ?

mardi 28 septembre 2010

Devenu en quelques années le 5e producteur mondial de soja, le Paraguay connait une expansion fulgurante des cultures transgéniques, illégales pour la plupart. Face à ce modèle d’agroexportation, les petits producteurs paraguayens s’organisent. Autour de la Semilla Roga, une maison de la semence ouverte depuis février 2010, ils tentent d’ouvrir la voie vers la souveraineté alimentaire.

Le maïs qui jonche la terre est inutilisable. Sur près de 44 hectares, il a été broyé par une puissante machine agricole, la rolo-cuchilla. Ceux qui l’ont détruit lui reprochent d’être un maïs RT, résistant au RoundUp1. En bref, d’être transgénique. Nous sommes dans la zone de Naranjal, à 90 kilomètres au sud de Ciudad del Este au Paraguay. L’opération qualifiée d’ « anti-transgénique » par la presse a été dirigée début août par l’ingénieur agronome Alberto Romero de la Senave (Service national de la qualité et de la santé des végétaux et des semences). Selon cette agence gouvernementale, l’action n’est pas politique mais consiste en la simple mise en oeuvre de la législation. « C’est une procédure de contrôle que nous réalisons dans plusieurs zones de l’Alta Paraná pour que soient mises en conformité les cultures agricoles avec les normes en vigueur, explique Alberto Romero. Aujourd’hui, rappelle t-il, la culture du maïs transgénique n’est pas autorisée au Paraguay ». Pour le moment, seules sont autorisées des variétés de soja transgénique parmi lesquelles le soja Roundup Ready (RR) de Monsanto. La Senave a prévu d’autres interventions dans les semaines à venir, estimant que 30 % des cultures de maïs du pays seraient transgéniques, soit près de 150 000 hectares.

Cette destruction vient augmenter les tensions entre les petits paysans paraguayens et les brasiguayos (une contraction de « Brasil » et de « Paraguayos »), ces derniers y voyant « une nouvelle persécution du gouvernement ». Installés majoritairement au Paraguay dans les départements frontaliers du Brésil, près de 300 000 brasiguayos craignent aujourd’hui l’expropriation suite à la promesse du président Fernando Lugo d’une réforme agraire « intégrale ». Lors de sa campagne électorale en 2008, il avait promis de récupérer les terres acquises illégalement durant la dictature de Stroessner et de redistribuer des milliers d’hectares. Pour les paysans rencontrés comme Justina Ramirez de la Conamuri, une organisation de femmes paysannes et indigènes, cette réforme devient « urgente ». « Quand nous parlons de la réforme agraire intégrale, nous ne parlons pas seulement de la terre, nous parlons de territoire, de culture, explique t-elle. D’une certaine manière, c’est le droit à la vie. Les riches ont tous les droits, ils les achètent. Pour nous, il n’y a rien ». 1 % des producteurs, souvent de riches oligarques ou des multinationales, monopolisent 77 % des terres cultivables. Emblématique, le brasiguayo Tranquilo Favero détient à lui seul 55 000 hectares dans les départements de l’Alto Paraná et d’Amambay.

Les monocultures de soja transgénique s’étalent aujourd’hui sur près de 3 millions d’hectares faisant du Paraguay - un pays légèrement plus grand que l’Allemagne – le cinquième producteur mondial. Avec près de 90 % des tonnages produits destinés à l’exportation, les semences de soja nourrissent principalement l’élevage en Europe, des porcs en Chine, des bovins au Chili et les réservoirs des voitures lorsque ce soja est transformé en agrocarburant. Le sud-est du pays a été déboisé presque en totalité, afin de planter du soja sur les surfaces cultivables nouvellement gagnées. « Avec le développement du mais transgénique dans ma région de l‘Alto-Parana, beaucoup de communauté disparaissent, témoigne Pablina Parra de la Conamuri. L’achat des terres par les riches étrangers ajouté à la pollution poussent les gens vers les villes ». 1,2 millions de paysans, soit près d’un cinquième de la population totale, ont gagné les villes depuis 1992. Alors que Monsanto se réjouit de son monopole, 200 000 petits producteurs résistent par la pratique de l’agriculture paysanne.

Pour le Père Paulo d’Oliva rencontré lors du 4e forum social des Amériques à Asunción, « comprendre ce qui se passe actuellement au Paraguay suppose de remonter à la fin de la guerre de la triple Alliance contre l’Uruguay, l’Argentine et le Brésil ». C’est de là que partirait la structure actuelle de la propriété de la terre au Paraguay. Pour honorer l’immense dette contractée auprès des vainqueurs, les gouvernements successifs paraguayens bradent les terres du domaine public, privatisant, entre 1870 et 1914, pas moins de 26 millions d’hectares, principalement au profit d’entreprises brésiliennes et argentines. Sous la dictature de Stroessner de 1954 à 1989, des centaines d’agriculteurs brésiliens à la recherche de terres productives traversent la frontière. Ils s’installent dans les provinces orientales, là où la terre ne vaut rien, accaparée par les militaires paraguayens. Plus récemment, de riches sojeros – les producteurs de soja brésiliens - élisent domicile à San Pedro, Itapua, Alto Parana, Concepcion, Amambay et Canindeyu. Leur présence est telle qu’ils parviennent, selon l’association Ritimo, à implanter dans ces provinces le portugais et le real comme langue et monnaie d’usage.

D’autres types de production feraient aussi l’objet d’une appropriation par les grandes entreprises selon la Conamuri. « Dans le cas du sésame par exemple, seulement sept entreprises contrôlent et se partagent le marché national. Bien qu’une partie de ce sésame soit biologique, l’ensemble de la production est destinée à l’exportation, sans que les producteurs n’aient leur mot à dire sur les prix », alerte l’organisation. Dénonçant sans relâche un modèle d’agro-exportation qui « tue » la paysannerie, la Conamuri est à l’initiative d’un projet de loi pour protéger et préserver les variétés locales de maïs. Ce projet de loi a reçu l’appui de la Senave ainsi que de Sixto Pereira, le vice-président du Sénat paraguayen. Mais comme le rappelle Ilsa Castro de la Conamuri, « nous ne voulons pas seulement faire une campagne de sensibilisation, nous voulons également mettre notre discours en pratique. Notre maison de la semence est une belle illustration ».

Cet ilôt de culture agroécologique se situe dans le sud-est du Paraguay. Les premiers champs de soja transgénique sont cultivés à 15 kilomètres. Véritable enclos de lutte, la Semilla Roga a été implantée dans le département de Ca’aguazu. Sortis de la grande route reliant Asuncion, la capitale du Paraguay, à Ciudad del Este, il faut longer une piste en terre durant une dizaine de kilomètres avant de gagner la maison de la semence. Passés des jardins potagers et des plantations de canne à sucre, une bande d’enfants s’amusent à l’entrée d’une maison en brique rouge. Son nom, Semilla Roga. Ce jour là, un séminaire est organisé à la maison de la semence par les membres de la Conamuri sur l’agroécologie. Ruben nous accueille. « Voici la Semilla Roga qui signifie « maison de la semence » en guarani car tout le monde peut venir ici partager ses semences familiales ». Rencontre en images.

De multiples variétés de maïs, poireaux, manioc, jouxtent les plantes médicinales. Les enjeux autour de cette maison de la semence sont multiples. Pour la Conamuri, il y a bien sur la volonté de « rendre visible le travail des femmes paysannes qui aujourd’hui ne sont pas reconnues ». Comme le rappelle Alicia, « leur rôle dans la conservation, la sélection et la multiplication des semences, est historiquement prépondérant ».

Mais la Semilla Roga est aussi une manière de défendre la vie en produisant d’une autre manière, sans recours à des pesticides chimiques. L’agroécologie est au coeur du système de production mis en place. Comme le résume l’agronome America Gonzales de l’association AlterVida, « la production agroécologique est une alternative sociale, économique et politique. Ce n’est pas seulement une solution pour une production saine mais la possibilité d’une plus grande participation et une alternative viable économiquement par la réutilisation de ce qui est dans le champ ». Pour les petits producteurs investis dans la Semilla Roga, cette maison constitue un lieu pour valider des savoirs empiriques sans éprouver le besoin de faire certifier les semences. « Travailler de manière agroécologique est une manière de contrer l’agroexportation », analyse Ruben.

Lieu de conservation, de sauvegarde et d’échanges des semences paysannes et créoles et de plants, la maison de la semence s’inspire des banques de semences collectives mais avec un fonctionnement et des objectifs différents. « Dans une banque, le client n’a pas de droit, explique la Conamuri. Elle assure une fonction de prêts, de crédits et de remboursements pour un usage individuel. Dans la maison de la semence, le processus est transparent et chacun a voix au chapitre. Le fonctionnement se veut collectif et au bénéfice de tous avec l’objectif de sauvegarder, échanger et ressemer les semences et plants ». Cet accès libre suppose le respect de certains principes. Concrètement, le producteur retire 1 kg de semences à la fin du cycle agricole auprès de la Semilla Roga. Après avoir cultivé ses semences dans une ferme individuelle ou collective, il doit sélectionner de nouveau les semences et remettre 2 kg de cette même semence à la Semilla Roga que les membres resèment à leur tour. Le producteur peut garder le reste des semences pour sa propre consommation ou les vendre s’il a des excédents.

A ce jour, la Semilla Roga a permis de travailler avec plus de 80 comités de producteurs et productrices autour de la sauvegarde et la conservation des semences. Ce projet tend à se développer au niveau national via l’organisation de centres de semences familiaux et départementaux. Les échanges de la Semilla Roga ont déjà commencé avec des parcelles situées à Ca’aguazu, San Pedro, Concepcion et Guaira. « Nous avons maintenant besoin de vraies politiques publiques qui envisagent la sauvegarde et la conservation des variétés paysannes et créoles, sans aucun type d’appropriation privée » , explique la Conamuri. En mai dernier, une brise d’espoir a soufflé, rapidement retombée. Fernando Lugo avait en effet défié les sojeros en proposant la régulation de l’usage des pesticides. Le lendemain même, des pressions l’obligeaient à retirer son projet de loi. Comme le rappelle Ruben, « nous sommes sur le chemin de la transition ». Un chemin long et périlleux mais ouvrant une lueur d’espoir.


Voir en ligne : Alter-Échos


1 Le Roundup est un herbicide total et non sélectif produit par la compagnie Monsanto et dont la substance active principale est le glyphosate.

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