La plupart des membres du personnel médical n’ont pas le droit d’exercer officiellement. Les médecins sont des réfugiés karens, une minorité de la Birmanie persécutée pour son refus de reconnaître le gouvernement en place et leur revendication indépendantiste. Formés par la docteure Cynthia Maung, elle-même médecin karen en exil, ils sont venus chercher refuge en Thaïlande où ils ne sont que tolérés et vivent une existence très précaire. Ils reçoivent un apprentissage théorique de 18 mois seulement puis passent directement à la pratique. Car les besoins sont énormes et le temps presse.
« Il y a tellement de besoins », soupire Mya, 23 ans, qui a cessé d’exercer les fonctions d’infirmière pour s’occuper de l’administration. La docteure Maung ne pouvait plus faire face à la demande grandissante, elle a donc entrepris de donner une aformation médicale à la clinique. Rien d’officiel ici. La clinique n’est pas censée exister, les étudiants devenus médecins sont toujours illégaux et sans-papier, en fuite. Les patients franchissent la rivière qui sépare les deux pays, parfois sur des chambres à air de tracteur, au risque de leur vie, car le courant est fort. « Nous recevons en moyenne cent patients par jour et la demande ne cesse d’augmenter », confie Mya.
Il fait chaud, très chaud. C’est la saison des pluies. L’humidité est lourde. Dans la cour, les patients font déjà la queue. Certains viennent de très loin, leurs visages portent les stigmates de la fatigue et de la maladie. Dans leurs yeux, se lit l’espoir. Dans les salles que nous traversons, pas de climatisation, pas même de ventilateur. Il fait 35 degrés Celsius. Nous arrivons aux urgences, les gens sont allongés sur des planches de bois. Certains viennent de se faire amputer « sans anesthésie », nous précise Mya. : « Nous n’en avons pas les moyens. On leur donne du paracétamol pour calmer la douleur. »
Médecins bénévoles
La jeune femme nous présente l’un des médecins étrangers bénévoles à la clinique. Ils sont trois actuellement. « Souvent ce sont des étudiants en médecine qui viennent de terminer leurs études, nous explique Mya. Ils nous aident quelque temps et prennent de l’expérience avant de retourner dans leurs pays. Nous sommes connus des organisations non gouvernementales, c’est ainsi qu’ils prennent contact avec nous. »
Le médecin bénévole, c’est Dan Dwyer. Il est australien, et installé à Mae Sot depuis un an. Souriant, il confie : « Je donne mon temps bénévolement, c’est vrai, mais c’est une expérience et un apprentissage extraordinaires. Les gens ici sont d’un courage exceptionnel. On aimerait pouvoir faire davantage, mais on manque de tout. Impossible de faire des tests sanguins pour chaque malade, pas de rayons X, peu de médicaments. Lorsqu’un malade est atteint du sida, on l’expédie chez lui avec quelques condoms en essayant de le persuader de les utiliser. C’est tout ce qu’on peut faire. Nous n’opérons que les cas urgents. Les patients qui ont des tumeurs qui n’évoluent pas trop rapidement, nous les renvoyons chez eux, par manque de moyens, de personnel qualifié et de temps. Et puis, il n’y a que 60 lits. Certains malades doivent dormir par terre. »
Mya nous introduit maintenant le jeune Basowe à l’école de la clinique que fréquentent les enfants du personnel médical et quelques jeunes patients. « Comme les parents n’ont pas de papiers, ils ne peuvent envoyer leurs enfants dans les écoles thaïlandaises. Il a aussi fallu y remédier. » Basowe a quatre ans, sa mère est morte du sida à la clinique. Lui aussi est atteint. Orphelin, il a été pris en charge par la clinique comme patient permanent. Il sourit, il rit, il a l’air heureux, épanoui. « Mais sa situation est très précaire, soutient Mya. Pour l’instant les autorités thaïlandaises ferment les yeux sur toutes nos activités mais tout peut changer du jour au lendemain. Il suffit que les tensions qui existent entre la Thaïlande et le Myanmar s’intensifient. Nous n’avons pas le droit, légalement, d’exister. Basowe, n’existe pas davantage officiellement. Sa naissance n’a pu être déclarée. »
Nous changeons de bâtiment. C’est la section des maladies mentales. Un vieil homme est attaché sur son lit. Il crie. Il a l’air hagard. Un infirmier se tient à ses côtés et nous raconte qu’« il est ici depuis longtemps. Il a perdu la tête. On ne peut pas le laisser sortir mais il n’y a pas de médicaments pour le soigner. Tout ce qu’on peut faire c’est l’attacher pour éviter qu’il ne nous frappe. »
Les fonds manquent péniblement
La clinique est soutenue par de nombreuses organisations gouvernementales et non gouvernementales, et pourtant l’argent manque. Les dons sont insuffisants avec le flux incessant des réfugiés. « Depuis la création, en 1988, d’une petite structure accueillant quelques étudiants birmans militants pour la démocratie et fuyant les représailles, nous sommes passés à un établissement qui reçoit plus de 30 000 patients par an, continue Mya. Docteure Cynthia est très connue pour son œuvre maintenant. On lui a décerné de nombreux prix, mais ça ne suffit pas. Il faut se battre tous les jours pour continuer à subsister. »
Nous demandons plusieurs fois à rencontrer la docteure Cynthia Maung. Impossible, le rendez-vous est repoussé d’heure en heure. Elle est trop occupée. C’est bien malgré elle qu’elle passe tant de temps à essayer de recueillir des fonds.